Les femmes de Jean Bruce
Jean Alexandre Brochet, dit Jean Bruce, se maria à deux reprises. Chacune de ses compagnes lui donna un enfant : la première, François, puis la seconde, Martine, nés tous les deux la même année en 1947.
Jean et Jeanne
Son premier mariage est célébré le 4 septembre 1945, à Marquay, en Dordogne. Il épouse ce jour-là Jeanne Bernadette Cosse, fille de feu Bernard Louis Cosse, notaire à Marquay.
Jeanne et Jean ont alors tous les deux vingt-quatre ans. On ne sait rien sur les conditions de leur rencontre, ni sur le cheminement de leur idylle les ayant menés au mariage ; mais il existe quelques indices qui nous permettent d’échafauder une hypothèse des plus probables sur le sujet.
Revenons pour cela quelques années en arrière : le futur Jean Bruce, parisien d’origine mais ayant grandi dans la Sarthe où ses parents avaient pris un commerce, s’était engagé comme pilote dans l’armée de l’air et avait participé à la bataille de France de mai-juin 1940, avant d’être démobilisé cette année-là dans la région de Bergerac, en Dordogne. Et c’est dans cette région qu’il avait ensuite tâté de plusieurs métiers, avant d’intégrer en 1941 la Sûreté nationale comme inspecteur auxiliaire à la Sous-direction de la Police économique. Puis, en 1942, il était entré dans la Résistance en tant qu’agent de liaison.
Fernande Coste, qui fut employée chez les Brochet dans leur commerce de la Sarthe, et qui connut bien le futur Jean Bruce dès son adolescence, affirme qu’elle apprit après la guerre que l’agent de liaison Jean Brochet apportait les documents récoltés pendant ses périlleuses missions à un certain notaire, lui-même résistant. Il se serait agi de Bernard Louis Cosse, notaire à Marquay. Celui-ci, né en 1888, décoré de la Croix de guerre en 1918, décédera en tant que “victime civile” de guerre le 25 août 1944, un an avant le mariage de sa fille avec le sieur Jean Brochet. Son nom est obligeamment inscrit sur le portail “Mémoire des Hommes” du Ministère des Armées.
On comprend mieux ainsi la possible relation amoureuse entre Jean et la fille du notaire/résistant ; relation qui aboutira au mariage… et plus tard à la naissance de François.
Au moment où il se marie avec Jeanne en 1945, Jean est sous contrat à la Sûreté nationale. Ses états de service pendant la guerre lui ont permis d’être titularisé comme Inspecteur de la Sûreté à part entière. On va même lui proposer d’intégrer bientôt l’Ecole supérieure de Police créée en 1941, à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or près de Lyon. Il y est accueilli comme interne en 1946. L’école est chargée de former les futurs commissaires de police – un métier qui pourrait lui convenir. Mais c’est pendant ce séjour à l’école que son esprit « potache » fait qu’il va créer et distribuer en cachette à ses camarades un journal interne très humoristique : “Le Poulet enchaîné” ; ce qui ne plaît guère à ses supérieurs ; et, bien qu’il obtienne le premier prix du cours “Technique policière et Investigations psychologiques” du professeur Locard à l’examen de sortie, il quitte l’Ecole Supérieure de police au bout de deux mois… et sans diplôme.
Retour alors à la Sûreté nationale, où il reprend un poste d’Inspecteur dans un service financier affecté aux trafics d’or : une activité qui nécessite de nombreux déplacements en train, à travers la France et même à l’étranger
La rencontre de Josette… “la femme de sa vie”
C’est au cours d’une de ses missions en novembre 1946 avec un groupe d’inspecteurs, et alors que sa femme attend le petit François, que Jean repère, dans le train les menant en Lorraine, une magnifique blonde : « plus séduisante encore que jolie, plus délicieuse encore qu’elle n’est charmante ». Elle se prénomme Josefa. Jean la baptise “Josette”, lui dit qu’elle est la femme de sa vie, et lui demande de faire semblant de croire que c’est vrai.
A Metz, où l’appellent des affaires de famille, Josefa choisit le même hôtel que les inspecteurs. « — Mademoiselle « Josette »…, ma femme ! », avancera l’inspecteur de la Sûreté. Par galanterie, on cède à la jeune femme l’unique chambre avec salle de bains disponible… et où se glisse l’inspecteur Jean Brochet…
Elle a joué. Lui, a gagné à ce petit jeu qui donne naissance à l’amour, et qui va aussi donner naissance à Martine, l’été suivant.
De son vrai nom Josefa Przybyl, “Josette” naît le 25 février 1920, dans la ville allemande de Brême, où sa famille, d’origine polonaise, attend depuis plusieurs années d’émigrer vers les Etats-Unis. Elle est la quatrième fille de la famille. Sa naissance fait reculer le départ des Pyrzbyl loin sur la liste d’attente. La famille décide alors d’aller vivre en France, à Metz en Lorraine. C’est dans cette ville que Josette passe toute son enfance. Elle gardera toute sa vie un souvenir précis des rues de l’Arsenal et du Pontiffroy, où elle a grandi.
En 1938, elle épouse à Bar-le-Duc René Rigault, un ajusteur de 24 ans natif d’un petit village de la Meuse. Pendant la guerre, elle participe à la Résistance française, dans cette région de Metz particulièrement surveillé par les Allemands. Arrêtée en Belgique, elle connaît alors les angoisses et les périls d’une évasion réussie.
Au moment où elle succombe aux charmes de l’inspecteur et futur romancier, le 3 novembre 1946, Josefa est divorcée de son mari René Rigault, par jugement rendu le 24 mai 1946 par le tribunal civil de la Seine.
Et Josette créa… Jean Bruce !
Puisque l’inspecteur Jean Brochet a dit à Josette qu’elle était la femme de sa vie, il va falloir qu’il le prouve. Pour l’instant, les deux amants vont se retrouver dans une petite chambre-cuisine près de Notre-Dame à Paris, pour vivre leur passion et attendre la naissance du fruit de leur amour - Martine. Mais l’avenir va très vite nous montrer que la future Josette Bruce aura un fort ascendant sur le futur romancier.
Tout d’abord, Jean doit quitter son poste d’inspecteur à la Sûreté, Lui, trouve qu’il s’y plaît bien mais qu’il est très mal payé, et Josette sent bien que la sécurité des fonctionnaires et le progrès à l’ancienneté ne sont pas pour lui. C’est ainsi qu’il démissionne de son poste d’Inspecteur de la Sûreté en mai 1947, quelques temps avant la naissance de Martine.
Il s’oriente alors, comme beaucoup d’hommes de sa génération après la guerre, vers l’import-export… mais sans succès. Il tâte ensuite de la joaillerie, et sera même à cette occasion guide d’un maharadjah venu passer quelques jours à Paris. Puis il a l’idée de monter avec un associé une agence de contre-espionnage industriel, chargée de protéger les brevets des entreprises. Hélas, son associé meurt et il se retrouve, sans clients, dans le bureau de son agence, avec pour seuls compagnons du papier blanc et une machine à écrire.
Nous sommes alors vers la fin de l’automne 1948. Josette, dont la santé fragile l’oblige à garder la chambre, passe son temps à lire des romans policiers. Elle a une idée : pourquoi son compagnon n’écrirait-il pas, lui aussi, des romans policiers ? Car il sait écrire, elle en est sûre : Ne rédigeait-il pas ses comptes rendus de missions, quand il travaillait à la Sûreté, dans un style qui s’approchait de celui de la nouvelle policière ? Et que dire des études historiques et autres feuilletons qu’il composait pour son journal teinté d’humour “le Poulet enchaîné” quand il était à l’Ecole supérieure de Police ? Sans oublier son « essai » sur l’une de ses icônes, le pilote Antoine de Saint Exupéry.
Josefa va donc le pousser à écrire… ne serait-ce que pour lui faire plaisir à elle, qui adore les romans policiers. Jean va donc insérer du papier blanc dans sa machine à écrire et se mettre au travail… Le premier roman signé Jean Bruce sera refusé par les grands éditeurs de romans policiers de la place de Paris, mais sera accepté par la toute jeune maison d’éditions Fleuve Noir et sera publié à l’été 1949.
Le divorce de Jean Brochet et de Jeanne Cosse est prononcé le 10 décembre 1949. Jean et Josette peuvent maintenant se marier. Leur union sera célébrée à la mairie du onzième arrondissement de Paris, le 27 juin 1950. Seront témoins à leur mariage Armand de Caro – Directeur commercial du Fleuve Noir, et Guy Krill, co-fondateur des Editions Fleuve Noir.
TontonPierre - 11 mars 2023