"Laisse chanter ton épée" est le titre d'une série de Cape et d'Epée que j'écris actuellement - en parallèle avec mes romans - à la fois par plaisir et par volonté de remettre ce genre au goût du jour, car j'avoue qu'en matière de littérature, c'est à lui que j'ai donné mon coeur.
Je vous poste ici le prologue, j'espère que ça vous plaira suffisamment pour que je puisse mettre la suite
Laisse chanter ton épée
Scenario et personnages Andromède ( E. G. Brioul )
Ne pas reproduire sans autorisation, merci ! Il ne les avait pas entendu venir tout de suite... D'ailleurs, ce n'étaient pas tant ses oreilles qui l'avaient sauvé, sur ce coup, mais plutôt son nez... Les trois ou quatre bandits puaient autant qu'une fosse à purin en été. Et si le chevalier ne les avait pas remarqué avant, c'était sans doute qu'il était trop occupé à pester contre la nuit tombée brusquement, les surprenant lui et son laquais en pleine traversée de cette maudite forêt. Résigné à devoir s'arrêter pour faire du feu, le chevalier avait envoyé son valet chercher un ou deux lapins qui leur serviraient bien de souper, pendant que lui même installait un campement de fortune. Et c'était à cet instant que la bande de détrousseurs en avait profité pour attaquer, alors que les flammes commençaient tout juste à s'élever, destinées à garantir le gentilhomme et son serviteur des loups.
Pour le moment, ce feu protégeait le chevalier de bêtes bien autrement dangereuses. A peine eut il entendu le raclement des gourdins sur le sol et sentit l'odeur épouvantable de son premier agresseur qu'il avait bondi. D'un grand coup de pied dans le foyer rougeoyant, il avait envoyé une giclée de braises brûlantes au visage du maraudeur. L'homme crasseux hurla, et porta les mains à ses yeux, tandis que ses compagnons se jetaient sur lui en brandissant leurs bâtons, prêts à lui casser l'échine. Mais le chevalier avait eu le temps de tirer son épée, et s'appliquait à présent à repousser leurs assauts, distribuant coups de plat et de pommeau avec force générosité, tout en pestant contre son laquais qui bien entendu, n'était jamais là quand on avait besoin de lui.
Il se baissa, évitant juste à temps l'arme de son adversaire qui fendait l'air et qui l'eût décapité plus sûrement encore qu'un coup de hâche. A bout de patience et de souffle, il se décida à recourir à la pointe de sa lame, et la plongea dans la gorge du bandit qui revenait déjà à la charge. L'artère fut tranchée net, et l'homme tomba comme une masse. Ses accolytes se figèrent durant quelques secondes, lesquelles furent mises à profit par le chevalier pour saisir un brandon enflammé, le porter au visage d'un second adversaire, et crier de tout la force de ses poumons pour couvrir le hurlement qui en résultat :
-Sangdieu, Lardoire, poltron ! Vas tu venir, oui ou non ?
A cet appel à la fois furieux et désespéré, répondit une espèce de galop proche, quoiqu'encore éloigné, et un juron étouffé. Le chevalier commit l'erreur de se retourner brièvement à ces bruits. Les détrousseurs, comprenant qu'un secours innattendu lui arrivait, en profitèrent pour se jeter sur lui. Le plus herculéen d'entre eux porta à sa victime un coup terrible à la nuque, produisant un horrible son de craquement. Le chevalier sentit comme un nuage de douleur lui monter aux yeux, comme un gout de sang amer lui couler dans la bouche, et s'écroula avant d'avoir pu seulement achever sa pensée. Malgré tout, une seconde à peine avant qu'il ne sombre totalement dans l'inconscience, il lui sembla entendre un grand cri, puis comme une volée de coups.
Et ces mots :
-Ma doué, mon maître, vous allez bien voir si je suis poltron, moi !
~*~
Lorsque le chevalier Nicolas des Halliers reprit ses sens et ouvrit les yeux, les deux premières choses qu'il perçut furent l'affreux mal de crâne qui lui vrillait les tempes, et la figure bon enfant de Lardoire, son valet, qui lui passait un linge humide sur le front.
-Hé, vous v'là donc bien arrangé, monsieur. Dit-il en souriant. C'est qu'ils ne vous ont pas raté, les cochons... Quand j'suis arrivé, vous en aviez déjà tué deux, et ceux qui restaient s'appliquaient à vous casser les os à coup de leurs maudits gourdins.
-Comment t'es tu débarrassé d'eux ? Grogna des Halliers en se redressant et en s'appliquant lui même sur le visage le mouchoir que lui tendait Lardoire.
-Je les ai assommés, pardieu ! Fit Lardoire d'un air qu'il aurait voulu modeste, mais qui ne réussissait qu'à être hypocrite. Faut dire qu'ils étaient pas gaulés comme moi, aussi, ces coquins là... Ajouta t'il en désignant les quatre marauds qui gisaient à quelques pas de là.
Des Halliers tourna la tête, et pu constater qu'en effet, ses assaillants avaient beau être solides et de belle taille, ils étaient bien moindrement forts que Lardoire, qui faisait six pieds de haut, quatre de large, et qui avait un poignet comme une épaule de mouton. En guise de récompense, il adressa à son valet un sourire qui n'appartenaît qu'à lui : un seul coin de sa bouche relevé, expression d'une satisfaction amusée et teintée d'une certaine ironie bienveillante. Lardoire, né Jean Boujeot, qui avait pour son maître Nicolas, chevalier des Halliers un grand attachement et une grande vénération, s'en sentit puissament grandi et heureux.
- Fort bien... Dit le chevalier en changeant de sujet. Les drôles vont dormir jusqu'à demain matin au moins, et d'ici là, nous auront bien eu le temps de nous éloigner de cette satanée forêt. As tu trouvé de quoi nous restaurer, par hasard ?
-Pour sûr, monsieur, ce n'est pas ça qui manque, par ici... Nous sommes sur les terres du baron de Saint-Guy, qui a la réputation de donner parmi les plus belles chasses à cour du pays.
-Tu m'inquiètes... Dit des Halliers, alors qu'il avait déjà saisi un des lapins que lui présentait Lardoire. Saint-Guy a également la réputation d'aimer la chicane, et si il nous surprend ici, à manger son gibier et nous battre dans son sous-bois, il est capable de me chercher une mauvaise querelle et de me lancer ses robins au train.
-Bah ! Fit Lardoire en haussant les épaules, mangeons toujours. C'est la nuit, et Mr de Saint-Guy doit être en train de ronfler, à l'heure qu'il est, tout comme ses gens. Demain matin, nous partirons très tôt, voilà tout, et nous effacerons nos traces... Ce sera bien le diable si il devine que nous sommes passés par là...
Des Halliers fronça les sourcils, à moitié convaincu.
-Et nos quatre maraudeurs ? Ils pourraient parler, eux...
Lardoire prit un air comique, comme un maître d'école face à un élève ordinairement brillant qui se serait soudainement mit à lui débiter des bêtises.
-Hé, mon maître ! Croyez vous donc que des misérables pareils vous connaissent ? Vous qui êtes un seigneur d'Alsace, et chevalier de sa Majesté ? Faudrait vraiment q'ils soient des démons déguisés, pour vous avoir déjà vu avant, ces fils de catin !
Des Halliers éclata de rire, tout en lançant à son valet une patte du lapin qui venait de finir de cuire, et que Lardoire attappa au vol.
-Parce que toi, tu le connais, ton père, Lardoire ? Ricanna Nicolas.
-Oh monsieur ! Fit l'honnête serviteur, indigné d'une pareille raillerie.
-Calme toi, grand niais, je plaisante. Mange, pendant que c'est chaud, ensuite tu dormiras. C'est moi qui vais prendre la garde, cette nuit.
-Oh monsieur ! Répéta Lardoire, mais sur un ton complètement différent, on s'en doute.
-Mange, imbécile ! Fit le chevalier en riant, et en menaçant son valet de la demi carcasse de lapin qu'il tenait à la main.
~*~
Le lendemain matin, au point du jour, il n'y avait déjà plus trace de nos deux voyageurs dans les bois de Mr de Saint-Guy. Comme l'avait prédit Lardoire, leurs quatre assaillants de la veille avaient filé sans demander leur reste. Le chevalier et son serviteur étaient donc remontés à cheval avant même que le soleil ne soit levé, et avec la science de deux hommes habitués à ces sortes de promenade que l'on nomme ordinairement mission pressée et secrète, ils s'étaient appliqués à ce que rien, pas même une brindille, ne pût témoigner qu'ils soient un jour passés par ici.
A sept heures, ils étaient sortis de la baronnie de Saint-Guy. A neuf, ils changèrent de cheveux de poste, et à midi, ils étaient à Paris. Ils descendirent à l'enseigne des Armes de Douai, où Nicolas avait l'habitude de prendre gîte - et surtout hôtesse - lorsqu'il montait dans la capitale. Des Halliers chargea Lardoire d'aller annoncer sa venue à qui il savait, au Louvre, tandis que lui même se retirait dans sa chambre pour faire toilette et se préparer au rendez vous pour lequel il avait quitté ses terres et passé par toutes sortes d'embûches dont nous avons eu un aperçu.
Nicolas des Halliers était un fort beau seigneur. Gentilhomme Alsacien, fils du baron d'Hanselme et d'Hildegarde Von Kaupfzlich, une riche immigrée Allemande, il avait hérité de la haute stature et de la blondeur argentée de sa mère. Sa fine moustache cavalière était à peine visible au dessus de sa bouche pâle, qui s'étirait si souvent en ce sourire paillard et moqueur que nous connaissons déjà. Ses yeux gris à la pupille noire, étirée comme celle des chats, brillaient constamment d'une espèce de lueur intrépide et furieuse, qui lui assurait en général un ascendant sur ses interlocuteurs, comme si il les défiait perpétuellement.
Nicolas des Halliers tout entier n'était d'ailleurs qu'un gigantesque défi, lancé depuis maintenant près de 23 ans à la face du monde. Elevé comme tout gentilhomme de cette époque dans l'amour du métier des armes, il était devenu soldat à l'âge de 16 ans, et depuis, jouait à chaque instant avec sa vie et celle du fidèle Lardoire. Il aimait trop vivre pour consentir un jour à mourir, répondait t-il en riant à ceux qui lui demandait par quel miracle il réussissait toujours à survivre, avec tout ce qu'il avait traversé d'expéditions hasardeuses et de champs de bataille.
La vérité, hélas, était beaucoup moins poétique. Si Nicolas des Halliers était cité cent fois par jour comme un modèle de chance et de survivance extrème, c'était parce qu'il avait un protecteur puissant. Un homme plus riche et plus influent que le roi lui même, qui depuis ses débuts en tant que simple courtisan avait toujours su caresser la reine de France dans le sens du poil. Il se trouvait aujourd'hui être le premier gentilhomme du royaume.
Maréchal d'Ancre, surintendant de Marie de Médicis et gouverneur de Péronne, Concino Concini était le véritable rempart défensif de Nicolas des Halliers. Si c'était l'épée du chevalier, flamboyante dans sa main droite, qui lui permettait de vivre, c'était assurément l'ombre du favori de Marie de Médicis qui le faisait survivre, tel un bouclier sur son bras gauche, cette fois. Et si Concini parait les coups alors que Nicolas frappait, c'était parce que des Halliers était son espion, son agent, son bras droit favori.
Le chevalier le servait fidèlement et secrètement depuis près de la moitié de sa jeune vie. Il était son meilleur atout, l'as caché le plus pronfondément dans sa manchette de dentelles. Et s'il restait invisible dans cette partie féroce que Concini jouait avec la noblesse, sa pire ennemie, il n'en était pas moins terriblement présent. Assurément, si le mari de Léonora Galigaï buvait le sang et l'or des français, c'était Nicolas des Halliers qui soutenait la coupe sous son menton pour qu'il pu y boire le plus aisément possible.
Des Halliers donna un dernier pli élégant à son manteau, fit bouffer une dernière fois la plume de son chapeau, et sourit à Lardoire qui rentrait précipitamment au logis de son maître, pour lui annoncer que le Maréchal d'Ancre était prêt à le recevoir. Son miroir lui renvoyait l'image d'un homme jeune et beau, à la physionnomie noble et loyale. Traître à son roi. Traître à son peuple.
Ame damnée de Concini, traître à son honneur et à lui même.
Le chevalier des Halliers et son laquais Lardoire prirent le chemin du Louvre.