édition du 16 juin 2009 + édition du 27 novembre 2009Armand de Caro crée sa maison d’édition
“Fleuve Noir” au début de 1949, alors qu’il est comptable chez
Roger Dermée, éditeur et diffuseur de romans populaires, et auprès de qui il a appris le métier de l’édition.
Son emploi chez Dermée lui a permis de rencontrer
Eugène Maréchal, un auteur/éditeur Belge – distribué en France par Dermée (belge lui aussi !), à qui il proposera une participation dans le capital de
Fleuve Noir, mais qui restera sans suite, Maréchal n’ayant pas les 100.000 francs nécessaires ; toutefois Maréchal se consolera en tenant pendant les premiers mois le poste de directeur littéraire et de chef de fabrication au
Fleuve… mais surtout, il sera à l’origine de
l’Agence Marchall, un collectif d’auteurs belges qui sera le pourvoyeur de 31 titres sur les 47 que comptera la collection
“Noire et Rouge” - ainsi répertoriée dans les archives du
Fleuve Noir. (voir l’interview d’Eugène Maréchal par François Ducos et Frank Evrard paru dans
Le Petit Détective n°8 de 1991)
Eugène Maréchal lors de son interview en 1986 où il explique notamment sa participation
à l’écriture de la Collection “Noire et Rouge ” du Fleuve Noir Il rencontre aussi, dans les bureaux qu’il occupait alors au 19 de la rue d’Hauteville, à Paris,
Jean Brochet alias Jean Bruce – plus exactement il y rencontre
Josefa Przybyl, qui vient apporter un manuscrit de son compagnon Jean Brochet chez un éditeur domicilié à cette adresse, et qui, s’étant trompée d’étage, se retrouve chez
de Caro. Ce dernier accepte le manuscrit… et l’on sait l’importance qui sera attachée à
Jean Bruce pour le succès des collections
“Spécial Police” et
“Espionnage” du
Fleuve, avec son fameux héros
Hubert Bonisseur de la Bath – alias O.S.S. 117 - , qui fait 60 ans après, encore la Une au cinéma…
Jean Bruce fournira cinq titres dans la collection qui nous intéresse, sous deux pseudos différents.
Suivant l’exemple de son ancien patron Dermée,
de Caro se lance tout d’abord dans le roman
noir érotique, avec un premier titre signé
Harry Mitchell – pseudo attribué à
François Richard, qui deviendra bientôt le directeur littéraire du
Fleuve Noir (il le restera jusqu’à sa retraite en 1978) -.
Richard écrit au même moment d’autres romans érotiques, et sous d’autres pseudos, chez
Pierre Pic, dans la collection
“La Mante”, collection dans laquelle
Richard se permet de citer en exergue…
Harry Mitchell !Pour la couverture,
de Caro choisit un design avec des couleurs emblématiques à l’époque pour ce genre de romans :
le noir et le rouge : les
éditions du Scorpion, de la Tarente, sont deux exemples représentatifs de cette tendance. Le dessin en est confié à
Guy Mouminoux, qui en aura très vite assez et passera la main à
Michel Gourdon, permettant ainsi à ce dernier de rentrer au
Fleuve….. avec là aussi toute la réussite future qu’on lui connaît…
Le premier titre :
“Elles ne sont pas toutes comme ça…” précise
“Traduit de l’américain”… comme il se doit à cette époque pour doper les ventes. L’ouvrage, achevé d’imprimer en février 1949, n’aurait pourtant été publié qu’en octobre 1949
(voir l’article de Frank Evrard “Erotisme et roman noir, 1946-1953” in “Fleuve Noir – 50 ans d’édition populaire” de Juliette Raabe Paris Bibliothèques 1999).
Le 1er titre de la Collection – achevé d’imprimer en février 1949
La couverture, non signée, est l’œuvre de Guy Mouminoux La collection est donc lancée. Elle ne portera jamais de nom, ne fera l’objet d’aucune publicité ; les titres ne seront jamais numérotés, les achevés d’imprimer seront pratiquement toujours absents – sauf pour les premiers numéros, le copyright ne mentionnera qu’exceptionnellement l’année de publication, les titres parus seront rarement présentés – uniquement sur les premiers numéros – et les titres à paraître jamais annoncés (sauf une fois !)…. Dur dur pour établir une liste chronologique… Même le numéro de dépôt légal attribué par la
Bibliothèque Nationale ne peut servir de repère précis, les ouvrages étant souvent déposés par groupes, l’attribution du numéro le plus bas ne correspondant pas forcément à l’ouvrage le plus ancien (c’est même plutôt souvent l’inverse !). Seule la cote attribuée par la BNF (n° 16 Y2 xxxxxx) permet d’avoir un suivi chronologique à peu près cohérent.
Deux tirages du titre de Joyce Lindsay (Jean Bruce) “Le Piège à femmes”.
Sur le premier apparaît les titres déjà parus dans la collection. Quelques mots sur les auteurs :
Nous avons dit que
l’Agence Marchall livrera 31 titres sur les 47 de la collection. Derrière ce collectif se cacheune équipe de romanciers :
Eugène Maréchal, seul ou en collaboration avec
José-André Lacour, Jean Libert & Gaston Van den Panhuyse (le futur bicéphale
Paul Kenny) et, plus tardivement,
Paul Kinnet. La gérance de la société est confiée à la femme d’Eugène Maréchal. Parmi la dizaine de pseudos utilisés, retenons celui de
Charles H. Marel, formé sous forme d’anagramme à partir du nom de Maréchal…
Les 16 autres titres sont l’œuvre de romanciers français, tous sous pseudo sauf un :
René Poscia “Comment y résister ?” (1).
La collection sera à plusieurs reprises épinglée par la Justice et la Censure : soit par des poursuites judiciaires assorties d’amendes contre les ouvrages eux-mêmes ou contre l’éditeur, soit par des poursuites envers les revendeurs, ou encore par des arrêtés d’interdiction de ventes aux mineurs, avec interdiction d’exposition et d’affichage, cette dernière et "triple" interdiction sonnant pratiquement la mort de l’ouvrage.
De Caro eut le privilège – si l’on peut appeler cela ainsi – d’être le tout premier à avoir été frappé d’interdiction en vertu de la loi de juillet 1949 pour un roman début 1954 (pour le titre
“Insolente nudité”), alors que jusqu’à cette date seuls les revues et magazines étaient concernés.
De Caro, qui avait sur les bras plusieurs procès liés à cette collection, décida d’arrêter, ce qui fit qu’il n’y eut plus de titres après fin 1953.
Ceux qui voudront en savoir plus sur cet aspect pourront consulter
“Le Dictionnaire des Livres et Journaux Interdits”, de
Bernard Joubert – Cercle de la librairie – Paris 2007 et
“Livres Condamnés – Livres Interdits ” de Daniel Bécourt – Cercle de la librairie – Paris 1961.
(1) Ce sont les
Editions Fleuve Noir qui publièrent le tout premier roman de
René Poscia “Comment y résister ?” qui, selon l’auteur, était un roman “léger”.
René Poscia n’aura pas de chance dans sa collaboration avec
Le Fleuve : d’une part ce roman fera l’objet de poursuite en Correctionnelle : On l’a convoqué…, il n’a rien compris…, et il a écopé d’une amende de 25.000 francs… c’est ce qu’il touchait pour l’écriture d’un roman à l’époque ; et d’autre part on lui demandera d’écrire un gros pavé pour la collection grand format du label
“Le Carrousel” :
Robert Gaillard lira le manuscrit et le trouvera manquant de “folklore” ; et le roman ne sera pas édité. Probablement vexé par cette situation,
René Poscia claquera la porte des
Editions Fleuve Noir…, pour se rabattre chez le Père
PIC… (
from entretien privé avec René Poscia)