Un des grands du roman revanchard ! Obsédé par l'espionnage.
Et toujours délicieusement lacrymal...
Plusieurs œuvres notables : Orphelins d'Alsace suivi de Les Millions de l'Oncle Fritz, L'Espionne du Bourget, Le Passeur de la Moselle et le Secret de Thérèse. Tous ces romans débutent en 1870 et s'achèvent quelques vingt années plus tard. Cas de figure éprouvé dans le roman populaire dont l'intérêt provient ici de ce qu'il autorise l'auteur à une réflexion sur la guerre a posteriori. Les personnages ont vieilli et, avec eux, les haines et les rancœurs. La plaie cicatriserait presque... Paul Bertnay annonce le pacifisme. Dans L'Espionne du Bourget, affaibli, malade, presque impotent, le méchant Hans n'est plus que l'ombre de lui-même (un bon Allemand est un Allemand malade...) :
"L'Allemand carré d'épaules, lourd d'allure, lourd de gaieté, lourd de galanterie, l'officier... le hobereau persuadé de sa supériorité et de son importance, ce Hans-là n'existait plus à cette heure (...). Sa voix gutturale, en devenant plus faible, avait perdu son timbre désagréable."
Dans le Passeur de la Moselle, Paul Bertnay est un peu plus subtil. Outre qu'il y présente un Allemand respectable, il adopte parfois son point de vue pour décrire la guerre de 1870. Plutôt chevaleresque et forçant la sympathie par sa tolérance, le baron von Horner a épousé une Française... qui, non seulement ne le quitte pas avec horreur mais continue de l'aimer. Paul Bertnay ne cache pas son estime pour l'Allemand. Se référant à sa vision des événements, il a un peu tendance à écrire la guerre à l'envers. Ainsi, pour les von Horner, l'arrivée des uhlans n'est ni dramatique, ni effroyable. "Pour eux, ces cavaliers n'étaient pas les éclaireurs de l'invasion, mais l'avant-garde des protecteurs et des compatriotes."
Ce n'est pas cela qui les rendra sympathiques au lecteur. En revanche, la conversation qui porte sur le sort des armes est étonnamment "subversive". Le devoir du soldat allemand y est examiné avec une objectivité désarmante et tout à fait inédite dans le roman populaire. L'absurdité de la guerre y éclate souverainement. En effet, une mère envoie son fils au front où il risque de tuer le fiancé de sa fille...
" La guerre !... comme toi, comme moi, il la trouve exécrable.
- Mais cela ne l'empêche pas d'assiéger Paris. Mais si mon Gérard est encore vivant, cela ne l'empêcherait pas de me le tuer...
- Il ferait son devoir de soldat.
- Son devoir !... tu appelles un devoir cette abomination : envahir un pays... le mettre à feu et à sang...
- Son devoir, oui... Et ce n'est pas en ce moment qu'il irait le discuter. Est-ce pendant la bataille qu'il déserterait son poste ?... Gérard aurait-il songé à déserter le sien, si la chance des armes l'avait conduit de l'autre côté du Rhin ? Quelle opinion, alors, aurais-tu eu de lui ?
Et Micheline la prenant follement dans ses bras :
- Tu as raison... effroyablement raison...
... Ah ! ma pauvre sœur... ma pauvre chérie...
... Que nous sommes malheureuses !"
(Le Passeur de la Moselle, Paris, Fayard, 1912, p. 63)
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J'avoue avoir adoré Oprphelins d'Alsace. Bertnay a un réel talent pour les histoires de familles déchirées - de préférence alsaciennes mais pas seulement : dans Le Secret de l’amour, nul casque à pointe n'apparaît.