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 Conty, Jean-Pierre

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pcabriotpi83
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MessageSujet: Conty, Jean-Pierre   Conty, Jean-Pierre EmptyDim 23 Déc - 15:28

Si Conty m’était conté…

C’est en cherchant sur le forum ce qui pouvait avoir été écrit en matière de biographie et/ou de bibliographie de Jean-Pierre Conty que je suis tombé sur l’unique topic consacré à cet auteur et rangé dans la rubrique «Pseudonymes». Un topic plutôt dédié à la recherche de son véritable patronyme qu’à l’exposé de sa vie et de son œuvre.

Je suis donc resté sur ma faim… d’autant plus que, sur ce romancier et auteur dramatique, la toile ne nous apprend pas grand-chose, se contentant de reprendre les informations qui tournent en boucle depuis …depuis quand, au fait ???... Hé !!!... Depuis qu’une identité d’état civil et des dates de naissance et de décès lui ont été attribuées sur notre forum, au printemps 2010 ! {1}

L’amie Elleon, qui alimente le blog http://fichesauteurs.canalblog.com, semble presque désolée en annonçant : «On ignore tout de son parcours jusqu'à ce qu'il se fasse connaître comme auteur en 1953 avec "Opération Odyssée"». Il est vrai que les sources qu’elle cite pour la rédaction de son article sont… Wikipedia et notre Forum !

Et pourtant, des choses écrites sur lui, il y en a eu… et de son vivant ! Lui-même se « confessa », au moins à deux reprises : en 1958, dans un résumé de sa biographie et de sa bibliographie déjà bien installée pour instruire sa demande d’adhésion à la Société des Gens de Lettres {2} ; et en 1967, dans une rétrospective sur sa jeunesse, ses études, ses premières activités rémunératrices et ses débuts de romancier et d’auteur dramatique, pour le bulletin Fleuve Noir-Informations. A cette époque, vers la fin des années 1960, Jean-Pierre Conty était l’un des «best-sellers» des espionnages du Fleuve Noir, avec ses “M. Suzuki”, et l’éditeur laissait souvent la parole à ses auteurs, dans son bulletin d’information mensuel {3}. C’est donc là une source de référence providentielle… mais il est vrai pas facile à trouver !

Par ailleurs, on sait que l’un de ses premiers pseudonymes (le premier peut-être pour ses écrits policiers) fut Jean Crau… et on sait que Jean Crau fut accueilli à bras ouverts par Maurice Renault et son “Mystère Magazine”, au tout début des années 1950, avec un couple de nouvelles signées par le futur Jean-Pierre Conty. Et Mystère Magazine présentait par une courte bio/bibliographie les auteurs qui étaient publiés par la revue. C’est là une troisième source {4} ; celle dont l’ami Henri-Yvon Mermet se servit pour rédiger sa présentation de Jean-Pierre Conty pour le Dilipo {5}.

Et puis, le hasard faisant souvent bien les choses, si l’on feuillette l’hebdomadaire "Qui Détective", dans lequel Maurice-Bernard Endrèbe publiait dans les années 1950 ses critiques des polars venant de paraître, on tombe sur une série d’enquêtes sur «Nos grands auteurs de romans policiers vus à la loupe» {6}, publiée en 1957, et dont le troisième volet était consacré à Jean-Pierre Conty.

Avec ces quatre sources dignes de foi, on peut déjà rédiger quelque chose de sérieux, me semble-t-il…
C’est ce que nous commencerons dans de prochains messages… mais seulement après avoir mis un point final aux supputations sur son état civil, dans la rubrique “Pseudonymes” du Forum.

(à suivre…)

Notes :
{1} C’est le cas de la page “Wikipedia” consacrée à Jean-Pierre Conty, ouverte en février 2011, et qui prend pour référence la page “histoire-du-polar.com” d’Alain Melchior, créée en octobre 2010. La dernière modification de la page Wikipedia, bien que récente (27 septembre 2018 au moment où je rédige ce post), est toujours aussi incomplète en ce qui concerne les productions de l’auteur (romans, théâtre) et les récompenses qu’il obtint.
{2} Le dossier SGDL de Jean-Pierre Conty est intégré dans la cote 454AP/569 du fonds SGDL, consultable aux Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine
{3} Apparu en janvier 1965, le bulletin Fleuve Noir-Informations (16 pages, format Octavo, non prévu pour être vendu), était une publication mensuelle réalisée par Eugène Moineau alors responsable du service de presse de la maison d’éditions.
{4} Voir les numéros 35 (décembre 1950) et 52 (mai 1952) de la revue Mystère Magazine.
{5} Certaines informations rapportées par Henri-Yvon Mermet dans sa présentation de Jean-Pierre Conty pour le Dilipo, comme les œuvres de jeunesse de l’auteur, ne se retrouvent nulle part ailleurs que dans la présentation de Jean Crau insérée dans le n°35 de la revue Mystère Magazine de décembre 1950.
{6} La série d’enquêtes, intitulée «Ils assassinent pour vous distraire…» (Lucienne Mornay pour les textes, Albert Jammaron pour les photos), passa en revue, entre février et mai 1957, 13 auteurs de «polars», dont Jean-Pierre Conty.

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyLun 21 Oct - 18:08

Si Conty m'était conté... (01)

Avant-propos

Je commence avec ce post la mise en ligne de messages consacrés à l’évocation de la carrière du romancier et auteur dramatique connu sous le nom de Jean-Pierre Conty, en rattachant les données bibliographiques de l’auteur aux informations biographiques que j’ai pu repérer.
C’est le fruit d’une étude originale puisque, jusqu’à ce jour, rien n’avait encore été rassemblé et communiqué sur cet auteur, né en 1912 (et non en 1917 comme il s’attacha à le répéter dès qu’il fut connu), et qui fit carrière à partir du début des années 1950 jusqu’à son décès survenu en 1984.

Jean-Pierre Conty fut l’auteur de près de cent-cinquante romans - essentiellement d’espionnage - et d’une douzaine de pièces pour le théâtre, la radio et la télévision. Lui-même se définit comme étant d’abord un dramaturge avant d’être un romancier.
Pour ses romans, il créa les personnages du Commissaire Bernu (romans policiers), de l’agent des Services de Renseignements français Bernard Lange (pour ses premiers romans d’espionnage), et du fameux espion japonais M. Suzuki (plus de cent aventures).

Outre un Premier Prix de Poésie en 1932, et le premier Prix de la Lutte Libre, à la charnière des années 1940/1950 - prix qui allait lui permettre d’entrer dans le monde du roman populaire, il reçut le Grand Prix de Littérature Policière en 1953 pour son roman d’espionnage Opération Odyssée (Éditions de la Porte Saint-Martin) et les Palmes d’Or du roman d’espionnage – un prix interne aux Éditions Fleuve Noir – en 1969 pour son roman M. Suzuki sert d’appât. La traduction en plusieurs langues de ses romans le fit figurer, de son vivant, dans la collection espagnole « El Lince » (Le Lynx) - une sorte de Pléiade espagnole, offrant sur papier bible des œuvres choisies des principaux auteurs policiers du monde, tels qu’Arthur Conan Doyle, Agatha Christie ou encore Georges Simenon.

Il fut secrétaire général du Syndicat des Écrivains (SE), membre de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) et adhérent puis sociétaire de la Société des Gens de Lettres (SGDL). C’est notamment à la lecture de son dossier SGDL que l’on peut découvrir sa véritable identité - Conrad Kurt Walrafen - et sa date réelle de naissance, le 9 décembre 1912.

Je n’ai eu aucune information de première main pour me fournir matière à la rédaction des messages qui vont suivre : l’auteur est décédé il y a maintenant trente-cinq ans, le 12 septembre 1984, sa femme est aujourd’hui elle aussi disparue, et il semble que le couple n’ait pas eu d’enfants – des enfants qui auraient pu apporter des informations autorisées, et compléter ou corriger celles qui seront communiquées ici-même.

En regardant ce qui est publié aujourd’hui sur la blogosphère et concernant cet auteur, on note que peu de choses ont été mises en ligne, y compris sur la page correspondante de Wikipédia - l’encyclopédie en ligne libre et collective habituellement regardée comme une référence - qui est erronée en termes de date et prénom de naissance, et incomplète en termes d’œuvres produites.

Plusieurs articles ont été publiés du vivant de l’auteur, insistant sur les études qu’il fit et sur ses premières activités qui l’amenèrent à devenir auteur de romans « policiers » et auteur dramatique. Après sa mort, de courtes assertions, qu’il convient de considérer comme de succincts résumés de carrière, ont été insérées au sein d’études plus générales, mais offrent un intérêt moindre, reprenant le plus souvent des informations précédemment rendues publiques.
C’est en m’appuyant sur les article écrits de son vivant que j’ai réalisé la présente étude, et j’y ai référencé autant que faire se pouvait chaque information communiquée ; et pour éviter de répéter en fin de message et dans leur intégralité les intitulés des principaux documents servant de référence, je vais ci-après énumérer ces derniers et leur donner un numéro entre crochets : [x] ; numéro que je rappellerai chaque fois dans le texte-même, signifiant par-là que l’information communiquée peut être retrouvée dans le document numéroté correspondant.



[1] Dossier SGDL de Jean-Pierre Conty (réf : 454AP/569 – Jean-Pierre Conty) – consultable aux Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine.
[2] Comment gagner sa vie sans vraiment se fatiguer (esquisse autobiographique). In Fleuve Noir-Informations n°31-32 de juillet-août 1967.
[3] Jean-Pierre CONTY, le plus Japonais des Français – In Nos grands auteurs de romans policiers vus à la loupe - Enquête de Lucienne Mornay / photos d’Albert Jammaron – In Qui Détective n°559 du 18 mars 1957.
[4] Conrad Walrafen – Lauréat de notre Prix de Poésie 1932, par Louis Parrot. In l’Action Intellectuelle – numéro spécial, septembre 1933.
[5] Cent volumes d’œuvres variées, formule chimique d’un auteur nommé Jean-Pierre Conty. In Fleuve-Noir Informations n°58 de novembre 1969.
[6] Jean-Pierre Conty « Le Prélat » de la littérature d’action. In Fleuve Noir-Informations n°108 de février 1974.
[7] Table ronde avec quatre auteurs du Fleuve Noir (avec Paul Kenny, Fred Noro, Jean-Pierre Conty et Pierre Nemours – Animation Jean-Claude Guilbert et Georges Rieben ; décryptage Nicole Grégoire). Transcription des discussions - In Espionnage Actualité n°13 de juillet 1971.
[8] L’Erreur réparée - nouvelle inédite, par Jean Crau. Texte de présentation de l’auteur. In Mystère Magazine n°35 de décembre 1950.
[9] Le Complice imprévu - nouvelle inédite, par Jean Crau. Texte de présentation. In Mystère Magazine n°52 de mai 1952.
[10] Qui êtes-vous Jean-Pierre Conty ? Texte introductif à un rassemblement de trois romans de Jean-Pierre Conty mettant en scène M. Suzuki pour la collection “Les Chefs-d’œuvres de la littérature d’action”, Cercle Européen du Livre, novembre 1973.
[11] Père de « Monsieur Suzuki », J.-P. Conty devient céramiste pour se relaxer. In Fleuve-Noir Informations n°26 de février 1967.

Conty, Jean-Pierre Jpc_en10
Cette photo-portrait de Jean-Pierre Conty, alors dans la quarantaine,
fut apposée sur plusieurs versos de couvertures de ses romans parus aux Presses de la Cité à partir de fin 1956
(Crédit photo : Studio Vallois, Paris ; insertion au sens Creative Commons BY-NC-SA)

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyLun 21 Oct - 18:09

Si Conty m'était conté... (01bis)

9 décembre 1912 : naissance du «Conteur d’histoires» {1} Conrad Kurt Walrafen – le futur Jean-Pierre Conty

Celui qui sera connu sous le nom de Jean-Pierre Conty nait le 9 décembre 1912 en Moselle, dans la petite cité minière de Merlebach {2} alors sous domination allemande, au sein de la famille chrétienne du pharmacien Jean Conrad Walrafen et de son épouse Barbara Elisabeth, née Moog. Ses parents se sont mariés à Metz en novembre 1908 {3} ; il est le cadet d’une fratrie de quatre garçons : Charles Léandre, l’aîné, né en 1909, lui-même - Conrad Kurt, suivi par Max Egon, né en 1918, et enfin Paul Robert, né en 1920 {4}.

Conty, Jean-Pierre Naissa10
Repérage de la naissance de Conrad Kurt Walrafen, fils de Jean Conrad Walrafen
et de Barbara Elisabeth Moog, le «9 décembre 1912», dans les tables décennales des
naissances de la ville de Merlebach (années 1910-1919)

Conty, Jean-Pierre Freymi10
Vue de Merlebach et Freyming vers 1923
(Photo prélevée sur Delcampe.net)

Même s’il dut s’éloigner de Merlebach pour suivre ses études, d’abord à Metz, au collège, puis à la faculté de Nancy [1][2][5], il resta fidèle à sa commune de naissance où, le dimanche après la messe, des sportifs se défiaient à la lutte libre. Il fut d’ailleurs un fervent adepte de ce sport athlétique, dont il connut les règles avant de savoir lire, et qu’il pratiqua avec enthousiasme [3]. Il faut dire qu’avec les 187 cm qu’il atteindra à la fin de sa croissance [6] il devait être à l’aise dans les confrontations !

Conty, Jean-Pierre Lutte_10
Photo d’une confrontation de lutte libre, prise vers les années 1910
(Photo prélevée sur Delcampe.net)

Sans qu’il s’en doute alors, ce sera ce sport qui le fera entrer dans le monde du roman populaire, en 1950, avec la brillante carrière qui s’en suivra.

Notes :
{1} «Né conteur d’histoires, le 9 décembre 1917. A Merlebach, Moselle, si j’ai bonne mémoire» : ainsi se présentait en 1967 Jean-Pierre Conty dans une courte autobiographie [2]. Concédons que “l’histoire” la plus mystérieuse qu’il nous conta fut celle de sa date de naissance… qu’il «rajeunit» de cinq ans, sans que l’on puisse connaître la raison d’une telle «coquetterie». Une date qu’il répétera à l’envi dans ses interviews, dès que son nom de Jean-Pierre Conty sera connu et reconnu, mais qui est démentie notamment par ses actes de naissance et de décès, son dossier de demande d’adhésion à la Société des Gens de Lettres,… et son numéro de sécurité sociale…
{2} Dénommée «Merlenbach» à l’époque de l’Occupation allemande, la commune fusionnera en 1971 avec la commune voisine de Freyming. Jean-Pierre Conty y est connu pour avoir été un enfant du pays ; un espace lecture Jean-Pierre Conty a d’ailleurs été créé au sein de l’Office Municipal de la Culture de la ville.
{3} Le mariage d’Elisabeth Moog avec Conrad Walrafen, alors pharmacien à Rodemak (Moselle), fut annoncé dans le supplément du journal Le Messin du 8-9 novembre 1908. Il fut célébré à Metz le 16 novembre 1908, et enregistré sous l’acte n°523 au registre des mariages de Metz pour l’année 1908.
{4}Selon les tables décennales des naissances des villes de Rodemak et de Merlebach, années 1900 à 1929.


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MessageSujet: Si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyJeu 24 Oct - 22:07

Si Conty m'était conté... (02)

A 9 ans, un succès «écrasant !»… pour sa première «grande production» [2]

Dans une esquisse autobiographique publiée au cours des années 1960 dans l’un des numéros du bulletin «Informations» des Éditions Fleuve Noir (sa maison d’éditions «attitrée» à partir de 1959), Jean-Pierre Conty rapportait être «né conteur d’histoires», et que ce penchant, que ses parents «jugeaient fâcheux et peu compatible avec le culte de la vérité», lui valut de nombreux coups de triques sur ses fonds de culotte, mais en vain [2].

Car des histoires, il en inventa, … et dès sa prime jeunesse ; et il en fit jouer par les pantins de bois du théâtre de marionnettes que ses parents lui offrirent pour ses neuf ans et dont il fut l’auteur attitré. Sa première «grande production», rapportait-il, s’intitula “Le Voleur de Pommes de Terre”, et fut un succès «écrasant». Ecrasant surtout pour les plates-bandes du jardin familial où il avait installé son théâtre et «attiré les chalands qui passaient à l’aide d’une affiche géante dessinée aux crayons de couleurs» [2]. Alors, «il ouvrit grandes les barrières qui séparaient le jardin familial de la rue. Et la représentation commença, d’abord devant quelques jeunes spectateurs invités avec l’appât d’un plantureux goûter», et se poursuivit devant de plus en plus de «personnes surgies de la rue, par petits groupes d’abord timides, puis enthousiastes, jusqu’au délire trépignant» [3].

Les parents n’apprécièrent guère le triomphe de leur fils : «Elle, confisqua le théâtre, Il, fit clore le jardin avec des grilles hostiles et infranchissables. C’est ainsi qu’on étouffe, dans l’œuf, un précoce essor dramatique» [3].

Conty, Jean-Pierre Jpc_ze10
Ci-dessus : le Western, magnifié par le Wild West Show de Buffalo Bill
et présenté en France en 1889 et en 1905, est l’imaginaire du jeune
Conrad Walrafen, alors âgé de 9 ans.
(Photo prélevée dans le Qui ? Détective n°559 du 18 mars 1957)

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptySam 26 Oct - 8:10

Si Conty m'était conté... (2bis)

Dessin animé et feuilleton à « suspense » au collège Saint-Clément de Metz

A dix ans, continuait-il, il entrait au collège des Jésuites Saint-Clément de Metz {1}, où, après avoir abandonné ses «comédiens de bois», il se lança dans la production d’un «western dessiné à la main sur papier transparent» [2].

Laissons l’ex-collégien raconter comment il s’y prit :
«Ce dessin animé, sur bandes découpées aux ciseaux et collées bout à bout, nécessita un métrage considérable de papier de bonne qualité. Du point de vue de la finesse du grain et de la transparence, le meilleur papier me fut fourni par l’emballage du chocolat Gala-Peter  {2} – que j’abhorrais. N’écoutant que ma conscience d’artiste, je dévorais jusqu’à la nausée des kilos de chocolat Gala-Peter. Mon estomac criait grâce, mais l’inspiration est une maîtresse implacable… Je menai mon travail à bonne fin…» [2].
Mais le film, une fois terminé, prit feu aussitôt qu’il le fit passer dans l’appareil de projection, … qui était alimenté par une lampe à pétrole ! [2]

«Ulcéré par l’injustice du sort», il mit en veilleuse ses inventions dramatiques. Ce qui ne l’empêcha pas de mettre son imagination intarissable au service de ses dons naissants de conteur d’histoires à suspense : A la table du réfectoire du collège, qu’il partageait avec cinq camarades, lui qui n’appréciait pas particulièrement la viande et encore moins les légumes, mais qui avait un goût très prononcé pour les desserts, entreprit un jour de raconter une histoire [3] :
«Il en déversa quelques séquences particulièrement affriolantes dans cinq paires d’oreilles frémissantes d’attention, et puis il s’interrompit brusquement, dans un silence haletant qui se transforma bientôt en supplications. Alors eut lieu l’abominable chantage : « Donnez-moi vos desserts, et je continuerai ». Aucune protestation ne s’éleva. Les desserts changèrent de bouche. Quand ils furent avalés tous les six, [il] arrêta son récit et dit, dans le plus pur style des feuilletonnistes : «La suite au prochain repas» [3].
«Mais ce roman à épisodes se termina lamentablement. Un soir, en une seule fois, par une terrible explosion cosmique, [il] extermina tous les protagonistes de son histoire. L’économe du collège venait de décider la suppression de la confiture et des biscuits en dessert, et de les remplacer par du fromage qu’[il] déteste»
[6].

«Ce furent ses premiers droits d’auteur, mais jamais, ni à cette époque ni plus tard, il n’osa penser que son imagination, son style et son goût d’un suspense qui n’avait pas encore de nom anglais dans la langue française le nourriraient un jour moins parcimonieusement» [3].

C’est aussi dans cette période d’adolescence qu’il rédigea ses premiers écrits. Mais alors que le «papa pharmacien surveillait de près les études de sa progéniture, attentivement et indiscrètement penché sur l’épaule de ses enfants, [il] fut obligé de se fabriquer une écriture illisible pour pouvoir composer en paix poèmes et romans» [3]. Une «écriture» qu’il gardera par la suite, et qui sera parfois incompréhensible pour tout autre que lui {3}.

Notes :
{1} Le territoire Alsace Lorraine, dans lequel se trouve la ville de Metz et qui fut sous autorité allemande entre 1871 et 1918, reprit le système «français» d’éducation après la première guerre mondiale ; mais la population concernée demanda à conserver certains des avantages de sa législation particulière – notamment le maintien de l’école confessionnelle (voir à l’adresse : https://journals.openedition.org/rsr/1797 )
Rappelons qu’à l’époque le cycle secondaire (l’“Ordre Secondaire”) était celui de l’élite sociale. Il était payant et se composait de lycées, gérés par l’Etat, et de collèges communaux. Ces établissements étaient très différents les uns des autres : les plus prestigieux, ceux des grandes villes, tiraient leur fierté des classes préparatoires aux Grandes Ecoles, ceux des villes moyennes de leurs résultats au baccalauréat. Voir à l’adresse : http://www.parisschoolofeconomics.com/grenet-julien/Memos/Institutions%20scolaires.pdf
{2} Le chocolat Gala-Peter fut le tout premier chocolat au lait qui exista. C’est le Suisse Daniel Peter qui réussit la mise au point du chocolat au lait «solide» en 1880, en mélangeant pâte de cacao et lait en poudre. La dénomination «Gala-Peter» vient de l’association du nom de son «inventeur» avec le terme «gala», provenant du grec et signifiant «du lait».
{3} Un exemple : en décembre 1980, la Société des Gens de Lettres (SGDL) accusait réception d’un courrier qu’elle attribuait à Jean-Pierre Conty, en lui répondant : «mais est-ce bien vous car la signature est indéchiffrable…»


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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyMer 30 Oct - 10:07

Si Conty m'était conté... (03)

Les premiers écrits : poèmes et essais

Arrivèrent les épreuves du baccalauréat. Pour son premier bachot {1}, il s’offrit une machine à écrire [3], sur laquelle il tapera ses premiers écrits. Puis, après avoir passé «brillamment» son baccalauréat de Philosophie, il s’inscrivit à la Faculté de Nancy en Lettres et en Droit {2} [2].

S’il suivit avec assiduité les cours de Lettres, il ne se présenta pas pour autant aux examens de sortie : «Les professeurs de Lettres furent très étonnés de ne pas me voir me présenter aux examens», rapportait-il ; alors qu’il réussit, grâce à sa faculté d’improvisation, à passer toutes les épreuves de Droit avec «d’honorables mentions» [2].
Par le fait, malgré la qualité d’enseignement de ses cours de Droit, où œuvraient deux professeurs émérites, de Menthon et Tietgen [6], il préféra à l’heure des cours aller respirer la vie à l’extérieur de la Faculté. C’est là qu’il rencontra la très blonde Micheline, qui suivait, elle, et assidûment, les cours de théâtre au Conservatoire [3].
Alors, le conteur d’histoires rattrapa l’étudiant en Droit : «Tout de suite, dès le premier jour, il inventa pour elle un roman à épisodes. Astucieusement, pour être sûr de la revoir, il lui disait : «La suite à demain». Il connaissait la technique, pour l’avoir expérimentée au réfectoire de son collège ! [3]
Tant et si bien que Micheline (alors Melle Bernadette Micheline Ecker), deviendra son épouse… et aussi sa dactylo, qui tapera les manuscrits de ses romans [3].

Conty, Jean-Pierre Est_rz13
Ci-dessus : le repérage dans le journal l’Est Républicain du 2 décembre 1935
d’une prestation de Melle Micheline Ecker donnée à l’occasion d’une soirée d’Amicale


En même temps, il concoure pour le Prix des amis de la Poésie, «ouvert entre tous les poètes de langue française», organisé par l’Action Intellectuelle – l’organe d’édition et de publication des Amis de la poésie, une fédération d’artistes amateurs fondée et animée à Poitiers depuis 1928 par le jeune romancier Jacques Marcireau.
Ce Prix des Amis de la Poésie, créé en 1928, est attribué en 1932 à Conrad Walrafen. Le Prix n’est pas décerné sur l’appréciation de la présentation d’un « unique » poème, mais sur la proposition d’un bouquet de poèmes choisis par le candidat.


Conty, Jean-Pierre Conrad10
Ci-dessus : Conrad Walrafen - Le futur Jean-Pierre Conty - alors âgé de vingt ans et lauréat 1932 du Grand Prix des Amis de la Poésie
(photo anonyme prélevée dans le  numéro spécial de l’Action Intellectuelle de septembre 1933).

Encouragé par cette première réussite, il s’inscrit en 1932 sur l’Annuaire Général des Lettres {3}, millésime 1933, et reprend contact avec les Amis de la Poésie de l’Action Intellectuelle, où il a l’accord de voir publier ses premiers écrits - poèmes et essais {4}.

Invité à se décrire pour être présenté dans la revue que diffuse l’Action Intellectuelle, il fait parvenir ses éléments de biographie, qui ne sont encore que juvéniles, accompagnés d’un choix de poèmes de sa composition et de quelques essais. Le bulletin spécial de septembre 1933 lui réserve un article bienveillant et conséquent. Louis Parrot, à la fois poète et vendeur de livres à la librairie de l’Université de Poitiers, y dresse un portrait dithyrambique du jeune Walrafen : [4]

«Conrad Walrafen est né à Merlebach, cité minière de la Moselle, en 1912. Après des études secondaires au collège Saint-Clément de Metz, il est tout naturellement devenu étudiant en droit à Nancy.
«Sans doute ceci ne le distingue guère de bien d’autres jeunes hommes. Il est vrai que, pour compléter cette biographie, Conrad Walrafen ajoute :
«Aussi loin que remontent mes souvenirs, je me vois écrivant de la prose ou des vers. Je me rappelle que les deux se ressemblaient fort au début.»
«Ce qui distingue Conrad Walrafen, c’est la force singulière de ses écrits. Parcourant un choix de poèmes, je découvre ce que dut être son adolescence, avec un peu de religiosité inquiète, de nonchalance, la douceur âpre de la poésie pour compagnes ; mais surtout une limpidité, une transparence, admirables.{5} Entendez ces quelques titres : En passant par l’église dans la journée, Ballade pour les chansons qui ne sont pas chantées, Ballade sur la cause de nos malheurs, La mort paysanne, Cimetière d’enfants, La vie des eaux.

Conty, Jean-Pierre La_vie10
Ci-dessus : fragment de La Vie des Eaux, poème de Conrad Walrafen
(in l’Action Intellectuelle, numéro spécial septembre, 1933).

«L’œuvre de Conrad Walrafen ne se compose encore que de poèmes et d’essais. […] Dans son œuvre actuelle, nous découvrons des prémices d’un talent chaleureux et d’une intelligence qui contrôle tout. […]
«Sans doute imprégné de philosophie scolaire, Conrad Walrafen y associe peut-être encore trop ses aspirations. Il n’a pas encore pris complètement conscience de la pesante matière qui surtout forme la vie. Mais il faut attendre beaucoup de ce garçon de vingt ans, réfléchi mais ardent, infiniment doué et dont l’œil clair interroge le monde !»
[4].

Concernant les essais, Louis Parrot, qui vient de lire celui où le jeune auteur pose la question “Y a-t-il une poésie classique moderne ?” et dans lequel est affirmé que «le poème n’est pas un spectacle qui se déroule dans l’espace, mais une intuition qui s’approfondit dans la durée», annonce que «Conrad Walrafen va publier un Parallèle entre Goethe et Wagner, qui portera en sous-titre Essai de conclusion. Dans cette œuvre, il oppose entre elles deux conceptions différentes de la vie, de l’amour et de l’art». (le jeune Conrad Walrafen semblait être, déjà à l’époque, un passionné de Wagner, comme indiqué dans [11]). Un essai qui devrait être suivi par un autre, titré “Le symbolisme, art classique”, dans lequel Conrad Walrafen défendra la thèse que «le symbolisme, tel que l’entend Bergson, dégagé du décadentisme, contient la doctrine du nouvel art classique». [4].

C’était là deux essais qui étaient prévus pour être publiés aux éditions de l’Action Intellectuelle, mais qui resteront à l’état de projet, et qui ne seront jamais édités {6}. L’essai Goethe et Wagner était pourtant avancé jusqu’à l’état de schéma détaillé (que reproduira Louis Parrot dans le bulletin de septembre 1933 déjà cité) et «semblait devoir “liquider” le problème Goethe-Wagner, en même temps qu’il [apportait] sur ces deux esprits de notables des points de vue des plus importants» {7} [4].

Conty, Jean-Pierre En_pas10
Ci-dessous : l’annonce de la future édition du Goethe et Wagner de Conrad Walrafen
dans le numéro spécial de l’Action Intellectuelle de septembre 1933.


A l’été 1935, Conrad Walrafen décroche sa deuxième année de licence de Droit Civil à la Faculté de Nancy avec la 1ère mention honorable (ce qui correspond au troisième Prix) {8}. L’année suivante, il semble avoir un peu plus de mal à décrocher sa troisième et dernière année de licence (voir la publication des résultats dans le quotidien l’Est Républicain reproduits ci-dessous).

Conty, Jean-Pierre L_est_12 Conty, Jean-Pierre L_est_14
Résultats universitaires de la Faculté de Droit de Nancy, publiés dans l’Est Républicain.
A gauche, 31 août 1935 – 2ème année de licence : 1ère mention honorable pour Conrad Walrafen
A droite, 1er novembre 1936 – admission à la licence : 2ème oral, sans mention, pour Walrafen.

Après quoi, il s’inscrit, toujours à la Faculté de Nancy, aux cours d’Etudes Supérieures d’Économie Politique {9} [1][2]. Le diplôme obtenu, il décide de monter à Paris pour suivre les cours de Droit Fiscal et d’Économie Politique à la Sorbonne [1], afin de pouvoir préparer son Doctorat en Droit {10}.

Notes :
{1} La dernière réforme du baccalauréat opposable au jeune Walrafen datait de 1925. Le baccalauréat, qui se passait depuis 1874 en deux parties, venait de voir ses différentes sections ès lettres transformées en bac «philosophie» – celui qu’allait passer notre futur romancier – et en bac «mathématiques».
{2} Le bac «philosophie» conduisait naturellement aux études supérieures juridiques - la voie que suivit le futur Jean-Pierre Conty. Je n’ai cependant pas pu repérer l’année où il passa - « brillamment » selon ses dires - son baccalauréat de philosophie.
{3} Voir l’Annuaire Général des Lettres 1933, page 1202. Le jeune Conrad Walrafen n’avait encore aucune œuvre publiée à son actif.
{4} L’activité des «Amis de la poésie» était de venir en aide aux écrivains et artistes amateurs en étant à leur disposition pour tous travaux d’impression et d’édition, la mise au point de leur texte, la copie dactylographiée de leurs écrits, etc…Plus l’organisation de concours de poésie, de prose, de dessin, leur permettant de publier leurs œuvres dans des recueils collectifs.
{5} Cette phrase se retrouve textuellement dans la présentation de Jean Crau qu’en fera Mystère Magazine dans son numéro de décembre 1950. Nul doute que Jean Crau / Conrad Walrafen avait déposé auprès de Mystère Magazine un exemplaire de ce bulletin spécial de l’Action Individuelle.
{6} Les futurs bulletins des années 1934 et 1935, qui mentionneront les ouvrages parus aux éditions de l’Action Individuelle, ne feront nulle part référence à une quelconque publication signée Walrafen. Les pré-réservations ouvertes dès septembre 1933 pour l’ouvrage annoncé “Goethe et Wagner” auraient-elles été insuffisantes pour lancer d’édition ? Ou l’analyse qu’en fit Louis Parrot dans la revue parut-elle suffire pour avoir une vision des points de vue de l’auteur… Ou bien le jeune Conrad était-il alors trop amoureux pour terminer ce qu’il avait entrepris ???
{7} Dans un article titré Les jeunes équipes et publié dans le numéro de l’Ouest Eclair du 18 novembre 1933, le journaliste Eugène Le Breton s’entêtait à souligner la prétention et la suffisance – selon lui – de la jeunesse politique et de la jeunesse littéraire : «Notre jeunesse ? Si nous passons du monde politique au monde littéraire, ce sera pour sourire de sa présomption. Savez-vous que Conrad Walrafen se propose de liquider, en un ouvrage à paraître bientôt, le problème Goethe-Wagner ? Il nous montrera qu’en Goethe triomphe l’art bourgeois et surveillé, et que son génie n’existe qu’à force de banalité. Or, Conrad Walrafen est né en 1912. (…) Messieurs des jeunes équipes, un peu de patience ! Et, tenez, relisez Balzac !». Visiblement, le journaliste avait lu le bulletin spécial de l’Action Individuelle de septembre 1933.
{8} Jusqu’en 1954, la Licence en droit se préparait en un seul cycle de trois années d’études, contre deux cycles de deux années après cette date.
{9]  L’enseignement de «l’Économie» dans les Universités apparut comme un développement des enseignements universitaires dans les années 1920, et fut d’abord enseigné au sein des Facultés de Droit, puis dans des Facultés autonomes.
{10} Entre 1925 et 1968, il était nécessaire de détenir deux diplômes d’études supérieures de la spécialité pour s’inscrire en doctorat en Droit.

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyDim 3 Nov - 15:48

Si Conty m'était conté... (04)

Professeur de Lettres et comédien pendant la seconde Guerre Mondiale

Mobilisé au cours de sa deuxième année de Doctorat en Droit, il est versé dans l’Infanterie de l’Air sur le Rhin, puis devient secrétaire d’État-Major à Besançon [1].

Sous l’Occupation, il est professeur de Lettres à Montpellier [1]. Mais alors qu’il rentre clandestinement à Paris, il est recherché par la Gestapo, ainsi que les membres de sa famille. Sa mère est arrêtée en Moselle et emprisonnée à Sarrebrück, jusqu’à sa libération par l’avancée américaine [1][3], un de ses frères aurait perdu la vie dans ces circonstances [3] et lui-même doit abandonner tout ce qu’il possède et s’enfuir «se réfugier en zone libre, après mille péripéties dangereuses» [3].

C’est là qu’il va «voir encore une fois avorter sa vocation théâtrale, vue cette fois sous l’angle de l’acteur.
«Il devait être le Christ d’une Passion montée à Béziers. Quelques démêlés l’opposèrent d’abord à l’Évêché parce qu’il avait décidé de respecter le réalisme de la Crucifixion en ne portant qu’un pagne. Après de multiples discussions, il dut accepter de revêtir, sous ce vêtement sommaire, un collant rose de danseuse.
«Il s’en consolait parce que, grâce à sa fréquentation régulière et fervente du Grand Guignol {1}, il avait imaginé un très joli effet d’épanchement sanglant sur le maillot rose, au moment du coup de lance du centurion.
«Mais l’Allemagne subissait, à cette époque, de cruels revers en Russie {2}. La représentation fut interdite, en signe de deuil, par les autorités d’Occupation, et [notre metteur en scène] en fut pour ses frais de collant rose et de mise en scène réaliste. [3]
«Mais le démon du théâtre l’aiguillonne de nouveau. Il écrit
“Un diable est sur le mur”. C’est une pièce violente dont l’héroïne s’appelle Edmée, et ce n’est pas par hasard que ce nom, anagramme de Médée, a été choisi. L’idée de la fatalité s’y exprime, mais c’est une fatalité intérieure au lieu que, chez les Grecs, elle est imposée par les événements» {3} [3].

Conty, Jean-Pierre Jean-p12
Ci-dessus : le futur Jean-Pierre Conty, vraisemblablement dans les années 1940.
Cette photo, insérée dans le volume de la Collection
Les Chefs-d’Œuvre de la Littérature d’Action
qui lui est dédié (Cercle Européen du Livre, Paris – AI novembre 1973), alors que l’auteur vient d’atteindre ses soixante ans
montre à quel point il était soucieux de paraître moins âgé qu’il ne l’était dans la réalité.

photo insérée ici au sens Creative Commons BY-NC-SA

Notes :
{1} L’engouement du futur Jean-Pierre Conty pour le théâtre pouvait trouver facilement son assouvissement dans les différents théâtres de Paris qui existaient avant la Seconde Guerre Mondiale.
{2} Une référence à la bataille de Koursk (juillet et août 1943), remportée par les forces soviétiques sur l’armée allemande.
{3} Je n’ai pas pu repérer si cette pièce – qui semble ne jamais avoir été montée – fut écrite avant ou après la Libération.

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Dernière édition par pcabriotpi83 le Jeu 7 Nov - 18:40, édité 2 fois
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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyJeu 7 Nov - 18:11

Si Conty m'était conté... (05)

Après la Libération, une période de «pourquoi pas ?»

A la Libération commence pour le futur Jean-Pierre Conty une période pendant laquelle il va se chercher. De retour à Paris, il ne reprend pas, on s’en doute, les études qu’il a dû abandonner à la mobilisation, et cherche sa voie, aussi bien sur le plan «artistique», que sur le plan «professionnel» ; car l’art ne suffit pas pour vivre... tout au moins pas encore !

Tout d’abord, il se «consacre à la céramique et au dessin de modèles» : deux activités artistiques qu’il dit, dans sa demande d’adhésion à la Société des Gens de Lettres, avoir exercées à la Libération [1].

La céramique d’art : [1][2][3] Un hobby, dont l’origine ne nous est pas révélée mais dont il pense pouvoir vivre de ses productions. Pourquoi pas ? Il s’y adonnera avec un certain talent, dans son atelier de la rue Falguière (un atelier parisien qu’il cédera plus tard au mime Marceau), en réalisant «des céramiques d’art hardies et belles, qui ont fait prononcer, à propos du sien, le nom de Picasso» [3]. Ses œuvres sont signées Janval [8] : la contraction phonétique du début du nouveau prénom qu’il vient de s’attribuer, «Jean», en remplacement de Conrad {1}, et du début de son nom de famille, «Val», pour Walrafen.
Il faut reconnaître que ses expositions eurent un certain succès : il vit partir ses pièces préférées, et resta «en contemplation devant les laissés-pour-compte et les pièces ratées. Cette vue m’attrista profondément, dit-il, et j’abandonnais ce métier ingrat» [2]. Mais c’est aussi à l’occasion d’une de ces expositions qu’il rencontrera Maurice Renault, le fondateur de Mystère-Magazine et qui lui donnera la chance de sa vie…

Quant au dessin de modèles, activité mentionnée dans son dossier SGDL [1], je n’ai pu en retrouver trace. La présentation du futur Jean-Pierre Conty insérée dans le numéro de décembre 1950 de Mystère-Magazine, si elle fait référence à ses créations de céramiques et au pseudonyme qu’il utilisa pour les signer, ne parle pas de ses dessins de modèles, pourtant réalisés à la même période.
Exerça-t-il cette activité artistique dans son atelier de la rue Falguière, avec quelques expositions ? ou quelques dessins parus dans la presse ? De quelle(s) nature(s) furent ses dessins ? Des dessins de nus féminins ? Pourquoi pas {2}…
Si tel fut le cas, rien d’étonnant à ce que Mystère-Magazine éludât le sujet : ce n’était pas dans le style de la revue. Et sous quel nom signa-t-il ses dessins ? Peut-être sous celui de Jean Fau, un pseudonyme rapporté dans la présentation de Jean-Pierre Conty faite dans le DILIPO et dont je n’ai pu retrouver trace, là aussi {3}.

Et l’écriture, dans tout ça ?... Car en réalité, il n’a jamais cessé d’écrire depuis la Faculté, y compris dans sa période «céramique» où il ne publia «d'autre chose que des articles techniques» [8].
Peut-être encore quelques poèmes et autres pièces de théâtre, dont un Martin Guerre n’est pas revenu, un titre qui tombe à point nommé dans cette période d’après-guerre. Aucune information n’a pu être retrouvée sur cette pièce, pourtant mentionnée dans le texte de présentation de sa première nouvelle «policière» publiée dans Mystère-Magazine en décembre 1950, et annoncée comme «un drame judiciaire se passant au XVe siècle» [8]. Serait-ce là une pièce reprenant le thème de L’Affaire Martin Guerre, une affaire judiciaire d’usurpation d’identité jugée en 1560 (donc au XVIe et non au XVe siècle). Si la pièce a bien été écrite (ce que j’imagine car Jean-Pierre Conty reconnaîtra plus tard qu’il fut «à l’origine […] un homme de théâtre» avant de devenir auteur de romans [4]), le fut-elle en prose ou en vers ? … sachant que Mystère-Magazine rapporte que le futur Jean-Pierre Conty est «avant tout un poète et [qu’]il est l’auteur de nombreuses pièces en vers» [8].

C’est en tout cas à cette époque qu’il va écrire sa première nouvelle.
Un de ses amis l’interpelle : «Les éditions de la Passerelle ont organisé le Prix littéraire de la lutte libre. Tu devrais concourir.
«Il réfléchit : Je ne connais rien à la littérature, mais je connais tout de la lutte libre. Ceci devait compenser cela. Essayons»
[3].
Encore un « Pourquoi pas ? » Sa nouvelle – “L’Enjeu” – fait de lui le premier lauréat du Prix littéraire de la lutte décerné par un jury d’écrivains et de sportifs sous la présidence de l’Académicien André Siegfried {4}.

Côté professionnel, ayant «quitté l’Université bardé de parchemins» [2], il compte se faire une place dans le monde des Affaires. Pourquoi pas ?
On le retrouve fin des années 1940 - début des années 1950 directeur commercial du Comptoir Commercial de l’Ile-de-France, une tentaculaire société d’import-export [5][6] ; mais c’est là un monde qu’il quittera bientôt, et définitivement semble-t-il vers 1956, après le succès de sa future «première» pièce “… Affaire vous concernant”, «qui le décida à quitter définitivement les affaires» [5].

Parmi les quelques «mémoires» de Jean-Pierre Conty qui figurent dans les bulletins Fleuve Noir-Informations, il est rapporté que «c’est un jeu qui décida de sa nouvelle situation et le fit se lancer dans la “bohème littéraire” que ses tirages “sensationnels” rendent dorée :
«Carmen Tessier organisait alors, dans ses célèbres “Potins de la Commère”, le jeu des définitions . En déjeunant dans le restaurant proche de son bureau, [il] dépouillait de la première à la dernière ligne tous les journaux du jour qu’il n’avait pas le temps de lire en dehors de ses repas. Chaque jour, il se réjouissait fort des définitions publiées par notre aimable commère et, un jour, il s’enhardit à lui envoyer à propos du commerce extraordinaire fait autour du muguet du 1er mai, ce mot : “brin-trust”».
«Par retour de courrier, [il] reçut les 1.000 francs promis.
«Si l’on peut avoir 1.000 francs du mot, on peut gagner beaucoup plus en écrivant», se dit-il en homme d’affaire avisé. Et c’est ainsi que se décida une carrière, et le soir même, sur la machine à écrire de sa secrétaire, ses affaires terminées, [il] écrivit la première ligne de son premier roman» [6].

Conty, Jean-Pierre Jeu_de10
Ci-dessus : photo de la « grille » des gagnants au jeu des surnoms organisé par Carmen Tessier, publiée dans le France-Soir du 8-9 mai 1949.
Le futur Jean-Pierre Conty apparaît, avec sa définition “brin-trust”, comme un des gagnants du jour, et sous son « presque » véritable patronyme : J. Walrafen.

Notes :
{1} «Jean» : certainement en hommage à son père dont les prénoms étaient Johann (Jean) et Conrad. Notons qu’au printemps 1949, il donnera au journal France-Soir le nom de J. Walrafen («J.» pour Jean) pour toucher une prime de 1000 fr gagnée au jeu des surnoms des “Potins de la commère” de Carmen Tessier.
{2} Dans son roman policier Il est temps que je meure, publié en 1956 mais vraisemblablement écrit bien avant cette date, un long passage traite de la pratique du dessin de modèle en atelier… qui sent le vécu. Dans un autre de ses romans, on trouve ce dialogue, qui pourrait suggérer qu’une telle nature de dessins fut approchée par l’auteur :
— J’ai été modèle pas mal de temps… expliqua-t-elle
— Z’êtes pas mal roulée.
— J’étais mieux que ça encore.
— Vous avez abandonné ? Pourquoi ?
— Les rhumatismes. D’être à poil, ça me faisait craquer les articulations.

(In Coup double pour M. Suzuki - Fleuve Noir Espionnage n°471, 1er trimestre 1965 – page 53)
{3} Henri-Yvon Mermet, qui rédigea le texte de présentation de Jean Pierre Conty pour le Dictionnaire des Littératures Policières de Claude Mesplède (le Dilipo) recense comme pseudonymes de l’auteur, outre le pseudonyme Jean-Pierre Conty, ceux de Jean Crau, Jean Fau, Janval, Jack Lavignac, Yves Rollat et Frank Williams.
{4} Le verso de la jaquette de son roman d’espionnage Ombres sur Pearl-Harbor – éditions de la Porte Saint-Martin, Paris – 1er trimestre 1953, et la note bibliographique du Figaro du 22 avril 1958 accompagnant le premier épisode du roman de Jean-Pierre Conty Le Rendez-vous des disparus, font référence à ce Prix de Littérature sportive.
{5} Le Who’s Who de 1969 consacre une notice à l'auteur et indique que Jean-Pierre Conty fut Directeur de cette Société de 1945 à 1951.
{6} Il s’agit en fait du «jeu des surnoms», où les lecteurs étaient invités à donner à un objet ou à un sujet un surnom ou une définition comportant un mot d’esprit. Les gagnants recevaient la somme de 1.000 francs. Le jeu s’arrêta début 1950.

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyMer 13 Nov - 8:34

Si Conty m'était conté... (06)

Les premiers droits d’auteur du «conteur d’histoires» : 5.000, 50.000, 200.000 fr, …

Nous arrivons en 1950. Celui qui ne se fait pas encore appeler Jean-Pierre Conty approche de la quarantaine. A l’occasion d’une de ses expositions de céramique, il fait la connaissance d’un certain Maurice Renault, le directeur de la jeune revue Mystère-Magazine [3][7].
Celui-ci est à la recherche d’auteurs français, pour des nouvelles policières à paraître dans sa revue franco-américaine Ellery Queen / Mystère-Magazine, sous-titrée “la revue littéraire de tous ceux qui s’intéressent au roman policier et au mystère”. Il déplore en effet «ces temps où les éditeurs français donnent une préférence presque exclusive aux auteurs étrangers» [9], et s’entretient avec notre «céramiste» :
« — Etes-vous [celui] qui a gagné le prix littéraire de la lutte libre ?
« Sur réponse affirmative, il lui demanda des nouvelles policières pour Mystère-Magazine. Cela n’avait aucun rapport apparent, mais [le futur] Jean-Pierre Conty en était à la période « Pourquoi pas ? » de sa vie.
« Dans son atelier de la rue Falguière, […] il redevint le conteur d’histoire que, au fond de lui-même, il n’avait jamais cessé d’être »
[3].
Alors que son four était allumé, il lut une nouvelle de Mystère-Magazine :
« C’était court, petit. Ça m’a plu. J’ai envoyé une nouvelle qui s’appelait L’Erreur réparée, et on m’a envoyé un chèque de 5.000 francs. Je me suis dit que ce n’était pas grand-chose, mais j’avais écrit ça sur le coin de la table où je travaillais » [7].

La nouvelle parut en décembre 1950 dans le n° 35 de Mystère-Magazine, sous la signature de Jean Crau, et accompagnée de quelques informations biographiques et bibliographiques sur ce «nouveau venu dans l’équipe française de Mystère-Magazine» [8] :
« “Nouveau” n’est pas tout à fait exact, puisque nous avons déjà donné un échantillon (bien modeste il est vrai) de son talent en publiant dans notre "Courrier des Lecteurs” d’août un “poème-énigme” dont il est l’auteur. […]
« Jean Crau vient également de terminer un roman policier situé dans un milieu assez curieux de spirites et de thaumaturges qu’il a étudié de près
{1}. […]
« Jean Crau caresse également un projet : celui de créer un jour en France un cours comme il en existe plusieurs aux États-Unis, spécialisé dans l’enseignement de l’art d’écrire la “nouvelle”, car c’est un genre littéraire qu’il affectionne particulièrement et que, comme nous, il regrette de ne pas voir plus en faveur en France, alors qu’il est si répandu en Angleterre et en Amérique »
[8].
Projet d’enseignement de l’art d’écrire la nouvelle qui semble bien être resté à l’état… de projet !

Conty, Jean-Pierre Pozome12 Conty, Jean-Pierre L_erre12
Ci-dessus : A gauche, poème énigme publié dans le numéro d’août 1950 de Mystère-Magazine.
A droite, présentation de la nouvelle
L’Erreur réparée – Mystère Magazine, décembre 1950.

Mais laissons le futur Jean-Pierre Conty nous raconter la suite
« La semaine suivante, le magazine m’écrivit à nouveau et me demanda si j’étais prêt à vendre les droits à la radio. J’ai fait les dialogues et je suis passé de 5.000 à 50.000 francs » [7]. 
L’émission de radio en question s’intitulait Le jeu du mystère et de l’aventure, une émission destinée aux amateurs de romans policiers, proposée par Pierre Billard et Jean Luc, préparée avec la collaboration de Maurice Renault {2}, et diffusée à partir d’octobre 1952 le vendredi soir sur la Chaîne Parisienne.

Conty, Jean-Pierre L_zoqu10
Ci-dessus : l’équipe de Faits Divers (l’émission qui remplaça rapidement Le jeu du mystère et de l’aventure) au travail :
Pierre Billard, debout, se penche vers Maurice Renault, tandis que Germaine Beaumont converse avec Pierre Véry, Jean-Luc et Roger Régent
(Crédit photo : « Radio 53 » - Maurice Lecardeur).

« Ensuite, continue le futur romancier, on m’a demandé si je voulais bien vendre ces droits au cinéma. Vous savez, c’était Jean Perdrix qui avait un studio à ce moment-là, et qui m’a dit : « J’ai lu cette nouvelle dans Mystère-Magazine ». Alors là, je suis passé de 50.000 à 200.000 francs. C’était un court métrage {3}, et après ça il a été vendu à la télévision anglaise. Je me suis dit : « Voilà, j’ai écrit cinq pages et me voilà bientôt à un demi-million, c’est formidable, c’est incroyable, je ne vais pas continuer la céramique d’art » [7].

On comprend mieux pourquoi l’article référencé “[2]” et écrit par Jean-Pierre Conty lui-même pour le bulletin Fleuve Noir-Informations en 1967 s’intitule Comment gagner sa vie sans vraiment se fatiguer…

Tout cela, c’était pour sa première nouvelle policière. Mais rappelons-nous que c’est après avoir gagné ses premiers droits d’auteur via France-Soir pour son “brin-trust” du mot muguet, au printemps 1949, qu’il annonça avoir commencé à écrire la première ligne de son premier roman…
… que nous allons découvrir dans le prochain message.

Notes :
{1} Il s’agit du roman à suspense Le Rendez-vous des disparus, qui sera édité et publié seulement au printemps 1958 aux Presses de la Cité. Une temporisation certainement due au fait que ce roman n’entrait pas alors dans les registres prédestinés de ses premières maisons d’éditions. Les personnages du commissaire Bernu et de son subordonné l’inspecteur Constant étaient déjà présents dans ce «futur» roman policier de Jean-Pierre Conty.
{2} «La collaboration de Maurice Renault permit sans doute le recrutement de quelques-uns des meilleurs auteurs français de romans policiers alors en exercice. […] Ainsi que la sélection de plusieurs nouvelles parues dans sa revue Mystère-Magazine (Allo Missié, L’Erreur réparée de Jean Crau, alias Jean-Pierre Conty, etc.) » – In Radio Mystères, de Jacques Baudou – INA/Encrage, Amiens – 1997 – page 56.
{3} Il s’agit sans doute du court métrage Mort en sursis, avec Jean-Jacques Belbo, sorti en 1951.

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyLun 18 Nov - 18:42

Si Conty m'était conté... (07)

Premiers pseudonymes pour ses premiers romans… et son premier Grand Prix (1).

C’est à ce moment-là qu’il se décida à vivre de sa plume, dans la “littérature d’évasion”. Ses fours à peine refroidis, il avait terminé son premier roman. Il se rendit alors chez un éditeur dont il avait relevé l’adresse sur un volume «acheté sans idées préconçues» chez son «marchand habituel» [2].
Laissons le futur Jean-Pierre Conty raconter la suite :
« Je découvris l’éditeur en question – qui imprimait lui-même ses livres – au fond d’une impasse, attelé à sa machine. Il se tenait debout – par quel miracle – au sommet d’une sorte de plancher mouvant devant un énorme cylindre encré qui tournait avec un grondement de tonnerre.
« De loin, nous échangeâmes quelques mots sans nous entendre à cause du fracas de la rotative. A tout hasard, je déposais mon manuscrit sur le coin d’une table ; et quand je revins deux mois plus tard, pour le reprendre, je trouvais à la même place le roman imprimé. Entre-temps, l’éditeur avait perdu mon adresse… Il n’avait d’ailleurs rien fait pour la retrouver et ne laissa pas éclater la joie qu’il dut éprouver en me voyant réapparaître.
« Il me rendit sans cérémonie les trois derniers chapitres de mon ouvrage – les meilleurs – en m’expliquant qu’ils débordaient du cadre de sa production. Il fallait comprendre que mon roman était trop long. J’appris à cette occasion qu’un roman bien constitué compte 380.000 signes. Et je remportais 100.000 signes inemployés Les trois derniers chapitres de mon premier roman devinrent les trois premiers chapitres de mon second roman. »
[2]

Les aficionados des polars des années 1950 et de leurs maisons d’éditions auront immédiatement identifié l’éditeur : Pierre Pic, et sa petite imprimerie tapie au fond de cette espèce d’impasse qu’était le 80 de la rue René Boulanger, dans le Xème arrondissement de Paris ; et ils auront par là même identifié le premier roman publié de Jean-Pierre Conty, signé du pseudonyme de Frank Williams, (un des quatre pseudonymes qui lui sont attachés, et qu’il revendique). Il s’agit de Hello ! Blondie…, un roman «noir érotique» de la Collection La Mante (Nouvelle série), édité par la C.P.E. – la Compagnie Parisienne d’Editions, dont Pierre Pic était le gérant.
L’ouvrage fut publié fin 1951 {1}.

Nous tenons-là le premier roman publié par le «bientôt» Jean-Pierre Conty{2} . Un «polar» noir, avec quelques passages érotiques, dans la lignée de celui (ou de ceux) que l’auteur s’était procuré(s) «sans idées préconçues» chez son «marchand habituel» qui, visiblement, vendait les ouvrages érotiques de la Compagnie Parisienne d’Éditions
Nous reparlerons de ce roman dans le volet bibliographique de l’auteur {3}.

Conty, Jean-Pierre Hello_10Conty, Jean-Pierre Hello_12
Ci-dessus : Hello ! Blondie… – signé Frank Williams (Frank William’s sur la jaquette).
C.P.E. – Paris, Collection La Mante nouvelle série. Parution : 4ème trimestre 1951.
Illustration non signée de F. Cassano.

Il y a de fortes chances pour que ce pseudonyme – Frank Williams – fut un pseudonyme «inventé» par l’éditeur, plutôt qu’un pseudonyme proposé par l’auteur lui-même. Il est en effet probable que l’auteur, ayant déposé «à tout hasard» son manuscrit sur le coin d’une table de l’imprimerie, n’y ait pas adjoint une signature "pseudonymique" {4}. Mais à l’époque, il était indispensable de publier ce genre d’ouvrage avec une signature «américaine» {5}, surtout si l’histoire se passait aux États-Unis – ce qui était le cas présent – car c’était là une manière simple de doper les ventes, tout ce qui provenait d’Amérique étant le bienvenu chez le Français d’alors.

Notons encore que Jean-Pierre Conty indique que les trois derniers chapitres du manuscrit de ce premier roman, non intégrés dans l’ouvrage pour cause de dépassement du nombre de pages, lui serviront pour l’ouverture de son deuxième roman. C’est là une «colle» que nous pose l’auteur : de quel roman s’agit-il ? Car ce n’est certes pas le second titre signé Frank WilliamsMousmées et G.I.s, achevé d’imprimé au troisième trimestre 1953 et qui sera, non pas le deuxième, mais le quatorzième roman publié de Jean-Pierre Conty {6}.

Concédant que ce premier roman lui apprit «tardivement à compter, sinon à écrire», et qu’il l’initia à «l’art d’aller à la ligne», l’auteur se félicita de sa nouvelle entreprise qui, «à l’instar des précédentes, fut couronnée d’un plein succès» [2].

Notes :
{1} L’ouvrage ne comporte pas de date d’achevé d’imprimer, mais son rang dans la collection, croisé avec les courriers échangés entre un autre auteur et la C.P.E dans le courant du second semestre 1951 permettent de situer sa publication au 4ème trimestre 1951.
{2} Premier roman «publié», certes, mais peut-être pas le premier écrit, si l’on se réfère à Mystère-Magazine qui indiquait dès 1950 que le romancier avait déjà terminé “un roman policier situé dans un milieu assez curieux de spirites et de thaumaturges”. Un manuscrit qu’il garda dans ses cartons, tandis qu’il préféra proposer à l’édition courant 1951 un autre roman : “Hello ! Blondie…” – un polar érotique.
{3} Dans sa bibliographie accompagnant sa demande d’inscription à la SGDL, Jean-Pierre Conty indique que ce roman sortit «le même jour» que son «premier roman : Soleil de mort, paru au Fleuve Noir sous le pseudonyme de Jean Crau». “Soleil de mort” étant paru en janvier 1952, on pourrait mettre en doute l’allégation que je formule pour la date de parution de “Hello ! Bondie…”, mais force est de constater que Jean-Pierre Conty fera à plusieurs reprises des confusions dans les dates de sortie de ses productions, aussi bien romans que pièces de théâtre. En 1981, à l’occasion du montage de son dossier pour la retraite complémentaire des écrivains, il indiquera que l’année de sa première publication en librairie fut 1951 (et non 1952), ce qui conforte la date de parution de son “Hello ! Blondie…” en 1951 [1].
{4} Partant de l’idée que ce n’est pas l’auteur qui proposa ce pseudonyme, il n’y a qu’à piocher dans la liste des «signatures» précédemment utilisées dans la collection La Mante – par exemple William Moore et Franck de Thau – pour «concocter» un “Frank Williams” (ou Frank William’s comme mentionné sur la jaquette).
Je me pose par ailleurs la question de savoir qui, chez l’éditeur, retoucha le manuscrit original pour le faire se terminer au nombre de pages voulu. Pierre Pic lui-même ? qui signa de son nom un roman érotique qu’il édita, ou François Richard ? Car ce dernier, s’étant attribué sous différents pseudonymes (dont William Moore et Franck de Thau) les dix premiers titres de la collection, avait, dans ce domaine de la littérature populaire, un rôle, par la suite reconnu, de «rewriter».
{5} Dans un courrier daté du 22 novembre 1950 et adressé à un romancier qui publia à cette époque chez cet éditeur plusieurs romans érotiques et d’espionnage, Pierre Pic indiquait : «Pour la collection “La Mante”, nous sommes obligés (sic !) d’adopter des pseudonymes avec noms Américanisés ou Anglicanisés. Nous vous demandons donc de bien vouloir nous faire connaître au plus tôt, les pseudonymes que vous désirez.»
{6} Il s’agit vraisemblablement de L’Enfer pour Jennifer, publié fin 1954 aux Presses de la Cité. Les personnages ne sont plus les mêmes, mais le lieu de l’action (la Californie), l’environnement (les boîtes de nuit, les gros bras du Milieu, etc…), le type d’intrigue, se retrouvent ; jusqu’à l’allusion faite au sujet des “Blondies”, ces «putains que l’on ne paie pas» (page 82).


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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyVen 22 Nov - 19:04

Si Conty m'était conté... (07bis)

Premiers pseudonymes pour ses premiers romans… et son premier Grand Prix (2).

Au moment même où paraissait ce titre noir-érotique - Hello ! Blondie…, l’auteur avait plusieurs romans en réserve qui allaient être édités et publiés dans les tout prochains mois chez trois éditeurs différents [9] : le Fleuve Noir, Le Condor, et La Porte Saint-Martin – trois jeunes maisons d’éditions.
Des romans d’espionnage qui, selon lui, «représentent le côté « engagé » de la littérature d’évasion». [3]

Le lecteur pourrait s’étonner de voir le romancier se disperser ainsi sur plusieurs maisons d’éditions. Serait-ce à cause de romans de types et de styles différents et adaptés aux collections de telle maison plutôt qu’à telle autre ? Pas vraiment : plus simplement selon moi parce que toutes ces maisons d’éditions faisaient partie de ce qu’il convient d’appeler «la nébuleuse Roger Dermée», du nom de cet éditeur tentaculaire qui était en étroite relation avec nombre de ses confrères (lui-même patron des Éditions Le Condor), et qu’il n’était pas rare de voir certains auteurs être publiés chez l’une ou l’autre maison d’éditions selon la nécessité d’alimenter leurs collections respectives {1}.

Et qui dit plusieurs maisons d’éditions implique plusieurs signatures d’auteur, «un»  pseudonyme étant attaché à «une» maison d’éditions.
Pour le Fleuve Noir, le pseudonyme retenu est celui de Jean Crau (pris par l’auteur pour son arrivée à Mystère-Magazine) ; pour Le Condor, ce sera le pseudonyme d’Yves Rollat ; et pour La Porte Saint-Martin, celui de Jean-Pierre Conty [1]. Si les deux premiers restent énigmatiques quant à leur lien avec l’auteur, le troisième me paraît permettre un décodage relativement évident : «Conty» pour le «conteur» d’histoires qu’il était depuis son enfance.

Il fera publier une bonne douzaine de romans, entre début 1952 et mi 1953 : quatre au Fleuve Noir (deux dans sa Collection Espionnage et deux dans sa Collection Spécial Police), deux au Condor dans sa Collection Espions et Agents secrets et sept à la Porte Saint-Martin, dont cinq dans sa Série Guerre Secrète (une série de onze titres que Jean-Pierre Conty alimentera alternativement avec un autre romancier, Roger Valuet) et un hors-série sur l’attaque de Pearl-Harbor.

Conty, Jean-Pierre Une_fe12 Conty, Jean-Pierre Deux-p12 Conty, Jean-Pierre Qui_a_12 Conty, Jean-Pierre Secret12
Ci-dessus, quatre romans du romancier publiés en 1952. De gauche à droite :
Une femme a trahi, signé Jean-Pierre Conty – Ed. de la Porte Saint-Martin, Série Guerre secrète – AI mars 1952
Deux poupées sur les bras, signé Jean Crau – Ed. Fleuve Noir, Coll. Spécial Police – AI avril 1952
Qui a trahi ?, signé Yves Rollat – Ed. le Trotteur, Coll. Espions et Agents secrets – AI septembre 1952
Secret Mortel, signé Jean Crau – Ed. Fleuve Noir, Coll. Espionnage – AI octobre 1952

En parallèle, il publie plusieurs nouvelles policières : une seconde (et dernière) pour Mystère Magazine, toujours sous son pseudonyme de Jean Crau, parue dans le numéro de mai 1952 (Le Complice imprévu), et une série dans des revues de Cino del Duca (Zone d’ombre, Drame au cirque, etc…) [1][9]

Mais tout cela ne lui fait pas oublier l’homme de théâtre qu’il est à l’origine [7]. En même temps qu’il écrit un roman d’espionnage, il travaille sur une pièce policière pour le théâtre :
« Je ne savais ni que faire de cette pièce ni que faire de ce roman et par hasard quelqu’un téléphone chez moi et me dit : « Le Théâtre de Paris cherche une pièce, vous n’en n’auriez pas une ? » Je réponds : « Si, j’ai une pièce, mais elle n’est pas finie. » — « Ça ne fait rien. » Le lendemain matin, l’administrateur me dit : « J’ai lu votre pièce, terminez-la, on la joue. » C’était Affaire vous concernant. » [7]
Ce qui réjouira l’auteur, presque étonné :
« Alors là, je me suis dit que c’était vraiment un métier en or. Mon roman Opération Odyssée, que j’apportai à un obscur éditeur de la Porte Saint-Martin – vous savez, une petite boutique, il s’appelait Dauchy {2} – est imprimé. Et j’ai le Grand Prix de Littérature Policière pour ce roman » [7].
Ce roman d’espionnage - Opération Odyssée - signé Jean-Pierre Conty et paru en février 1952 aux Éditions de la Porte Saint-Martin comme premier titre de la Série Guerre Secrète, lui vaudra en effet le Grand Prix de Littérature Policière 1953, ainsi que son premier « contrat en bonne et due forme ». [2]

Ce pseudonyme de Jean-Pierre Conty lui restera attaché tout au long de sa carrière, le conduisant à la notoriété grâce à ce premier Grand Prix et, comme nous le verrons, avec sa future pièce de théâtre … Affaire vous concernant.
L’auteur indique qu’il se lança alors dans une intense période d’écriture :
« J’écrivis alors sans reprendre haleine une cinquantaine de romans dont le tirage monta avec la régularité monotone d’une feuille de température ». [2]

notes :
{1} C’est le cas pour le roman “Liquidez B21” signé Yves Rollat et publié au Condor entre “Soleil de mort” et “Secret mortel” publiés sous la signature de Jean Crau au Fleuve Noir. Trois romans ou le héros est le même : Bernard Lange (rebaptisé Bernard Dange pour le Condor).
{2} Les éditions de la Porte Saint-Martin furent créées en 1950, semble-t-il comme une résurgence de la maison F. Schmid, elle-même ré-immatriculée courant 1948 en F. Schmid - M. Dauchy Successeur, et spécialisée dans l’ouvrage érotique (même adresse : 34 rue du Faubourg St-Martin, et présence dans les deux cas d’un même homme : Marcel Dauchy). Si le « créateur enregistré » et gérant des Éditions de la Porte Saint-Martin fut un certain Pierre Marcel Laine, on note l’omniprésence en coulisses de deux personnages connus des amateurs de la littérature populaire des années 1950’ : Roger Dermée, qui apporta les deux premiers titres qui y seront publiés - deux titres de Jean Normand prévus pour être édités par les Éditions Franco-Belges (une maison d’éditions qu’il distribue et qu’il dirige), et qui y introduisit son nouvel illustrateur de couvertures Jacques Leclerc – alias Jihel ; et Pierre Pic qui, souhaitant se lancer dans l’éditions d’ouvrages érotiques, y fit éditer une série de huit romans, aux titres courts mais prometteurs : Ensorcellements, Libertinages, Griseries, Caprices,...

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyVen 29 Nov - 16:50

Si Conty m'était conté... (08)

«Un nouvel auteur d’excellents romans d’espionnage nous est né» {1}

Au printemps 1953, le dorénavant Jean-Pierre Conty se voit décerner le Grand Prix de Littérature Policière de l’année {2} (section française), pour son roman d’espionnage Opération Odyssée. La remise du prix, présidée par la vedette alors en vogue Martine Carol, est proclamée le 19 mai 1953 dans les salons parisiens de l’Auberge du Coucou, après discussion des membres du jury et devant journalistes et photographes {3}.
Conty, Jean-Pierre Opzora10Conty, Jean-Pierre Opzora12
Ci-dessus : “Opération Odyssée”, par Jean-Pierre Conty
Editions de la Porte Saint-Martin, Paris - Série Guerre Secrète - n°1
achevé d’imprimer février 1952 - Illust. couv. : Jacques Leclerc.

Peut-être pouvait-on s’attendre à cette distinction, le roman ayant été, après sa parution début 1952, auréolé par la critique. Notamment celle de Maurice Bernard Endrèbe {4}, fondateur et secrétaire dudit Grand Prix., qui écrivait dans l’hebdomadaire Qui ? Détective n°319 du 11 août 1952 (hebdomadaire dont il était le critique littéraire de la rubrique intitulée Lu pour Vous) :

«Voici un livre que, s’il nous était parvenu quelques mois plus tôt, nous n’aurions pas hésité à classer Livre de la Semaine, car c’est certainement un des meilleurs romans d’espionnage de l’année.
«Jean-Pierre Conty (un auteur qui s’est déjà fait connaître sous un autre pseudonyme) a réussi à nous donner une œuvre solidement construite et écrite dans un style sans bavure.
«Renversant ce qui se fait ordinairement, Jean-Pierre Conty a eu l’idée de nous mêler intimement à une opération menée par les Allemands contre les Anglais, opération qui fut nommée « Odyssée » à cause des risques nombreux que ses héros allaient courir. Ne se contentant pas de cette originalité, l’auteur a fait de Brannensdorf un espion qui demeure un espion, en ce sens que rien ne le détourne de sa mission, mais dont la noblesse conquiert le lecteur et le rend tout aussi sympathique que ses adversaires anglais.
«Le fait d’avoir renoncé au poncif voulant que l’espion soit « bon » ou « méchant » suivant sa nationalité permet à J.-P. Conty de hausser le ton de son roman quand l’amour vient s’opposer au devoir (résumé ainsi, ça paraît « pompier », mais nous vous garantissons que ça ne l’est pas) grâce à une héroïne qui n’est ni une « souris », ni une « poupée », pas même une « môme », mais tout simplement une jeune fille solidement équilibrée, ni mièvre, ni « affranchie », une jeune fille comme on vous souhaite d’en épouser une.
«Nous ne nous souvenons pas d’avoir rencontré dans ce genre de récit une scène de … disons d’intimité poussée aussi poignante dans sa sobriété. La fin du livre, avec sa chasse à l’homme dans les docks de Londres et son parfait dénouement, laisse au lecteur l’impression qu’il y a dans ce roman la matière d’un excellent film qui pourrait être commercial tout en ne sacrifiant pas à la vulgarité.

«Que Jean-Pierre Conty continue dans cette voie : c’est la bonne.»


De son côté, Igor B. Maslowski – le critique « polars » de Mystère-Magazine, écrivait, dans sa rubrique Le crime passe en jugement du n°52 de mai 1952 de la revue {5} :

«“Opération Odyssée”, de Jean-Pierre Conty (Éditions de la Porte Saint-Martin – Série “Guerre Secrète”), a tout l’air d’une histoire vraie. L’auteur nous retrace les aventures d’un officier allemand, Fabian von Brannensdorf, envoyé comme espion en Grande-Bretagne, et chargé de transmettre ses informations par l’intermédiaire de la… B.B.C. Ses péripéties dans un camp de concentration, son arrivée en Angleterre, son amour pour Eileen Graves, sa lutte contre le jeune lieutenant qui le soupçonne d’être un « faux réfugié », tout cela est narré dans un style vif et réaliste, sans prétention, qui facilite la tâche du critique (et du lecteur) et qui stimule son intérêt.»

Cette distinction fera que l’ouvrage sera l’objet d’une nouvelle édition chez le même éditeur (achevé d’imprimer : 1953 – sans plus de précision).

Conty, Jean-Pierre Jean-p14
Ci-dessus : Photo-portrait de Jean-Pierre Conty dans la quarantaine
(Photo prélevée au verso de la couverture de “Ombres sur Pearl-Harbor”
Editions de la Porte Saint-Martin, Paris – 1953 - (H.C.) - droits réservés).

Ses romans de la série Guerre Secrète (cinq volumes + un hors « série » (H.C.) publiés entre février 1952 et ~février 1953 aux éditions de la Porte Saint-Martin) lui valurent d’entrer dans le cercle très fermé des auteurs «reconnus» de romans d’espionnage.

A propos de son roman Intelligence Service contre V2, paru dans la série en août 1952, Maurice-Bernard Endrèbe, écrivait, dans le n°321 du Qui ? Détective du 25 août 1952 :

«Après lecture de cette seconde œuvre, nous pouvons vous annoncer qu’un nouvel auteur d’excellents romans d’espionnage nous est né. Par rapport au roman policier, nous tenons ce genre pour mineur, car il a un cadre beaucoup plus étroit, des thèmes plus limités, beaucoup moins de possibilités psychologiques, et il lui faut une guerre mondiale pour pouvoir se renouveler quelque peu. Mais il n’en reste pas moins vrai qu’un bon roman d’espionnage est d’une lecture passionnante. Après Valentin Williams et Luciéto, Pierre Nord, Sylvain Roche, Jean Bruce, nous l’ont maintes fois prouvé : désormais, on peut ajouter le nom de Jean-Pierre Conty à la liste.
«Cet auteur a incontestablement le sens du dramatique, mais ses romans donnent cependant une grande impression de vraisemblance…»


Dans la suite du texte, et après avoir quelque peu «malmené» Jean Bruce, en le remerciant, certes, d’avoir créé en OSS 117 un personnage sympathique et dynamique, mais qui n’appelle pas le suspense puisque l’on sait qu’il «se tirera toujours des situations les plus désespérées», Maurice-Bernard Endrèbe continue son élogieuse critique, … la terminant toutefois par une mise en garde :

«Jean-Pierre Conty, en se privant d’un héros que l’on a plaisir à retrouver de volume en volume, a gagné sur l’autre tableau, car on n’est jamais sûr de la moralité de ses personnages, ni qu’ils échappent à la mort, ce qui, on en conviendra, accroît singulièrement l’intérêt de ce gendre de récits.
«Les réalisateurs, qui tournent bon an mal an, un certain nombre de films d’espionnage, devraient bien s’intéresser à Jean-Pierre Conty. On a le sentiment que ça ne serait pas sans relever la moyenne de leurs productions.

«Mais, de grâce, Jean-Pierre Conty, ne cédez pas à la facilité et ne galvauder pas votre talent.»


Conty, Jean-Pierre Intell10 Conty, Jean-Pierre Intell12
Ci-dessus : Intelligence Service contre V2 - Éditions de la Porte Saint-Martin, Paris
Série Guerre Secrète - n°5 - achevé d’imprimer août ? 1952 – Illust. couv. : Jacques Leclerc.

Cette mise en garde, Jean-Pierre Conty se contentera de ne la respecter que peu de temps puisqu’en juillet 1955 – trois ans après seulement - naîtra son fameux et invincible héros l’espion M. Suzuki que l’on retrouvera dans une centaine d’aventures.

Notes :
{1} Dixit Maurice-Bernard Endrèbe en introduction à sa critique du Intelligence Service contre V2, de Jean-Pierre Conty (Éditions de la Porte Saint-Martin, Série Guerre Secrète n°5, août 1952).
{2} Fondé en 1948 par Maurice-Bernard Endrèbe, le Grand Prix de Littérature Policière est décerné au meilleur roman policier français et au meilleur roman policier étranger publié dans l’année.
Voir https://www.polars.org/spip.php?article253 Il se démarque du “Prix du Roman d’Aventures”, créé en 1930 par Albert Pigasse et qui est un Prix «maison» (celui de la Librairie des Champs-Élysées) et du Prix du Quai des Orfèvres, créé en 1946 par Jacques Catineau, et décerné sur une sélection de manuscrits anonymes, et donc non encore publiés.
{3} Voir l’article paru dans le n°66 de juillet 1953 de Mystère-Magazine et intitulé Grand Prix de Littérature Policière 1953.
Maurice-Bernard Endrèbe, parlant de la remise du prix dans le n° 361 de Qui Détective, donne la raison de ce couronnement d’un roman «d’espionnage» plutôt que d’un roman «policier» : « […] n’ayant trouvé hors de la production des auteurs consacrés aucune histoire policière digne d’être distinguée, le jury n’hésita pas à couronner, dès le premier tour, un excellent roman d’espionnage de Jean-Pierre Conty, Opération Odyssée ». Il faut dire qu’à cette date, aucun Prix du Roman d’Espionnage n’avait encore été créé.
{4} Maurice-Bernard Endrèbe (1918-2005), traducteur, chroniqueur, auteur lui-même et critique reconnu du roman policier, sera un soutien de poids à la candidature en 1968 de Jean-Pierre Conty comme «sociétaire» - et non plus simple «adhérent» - de la SGDL.
{5} Igor B. Maslowski (« B. » pour Bagirovich, 1914 – 1999) fut un traducteur et un auteur français de romans policiers. Il assura dans la revue Mystère-magazine (dès sa création en 1948), une chronique régulière consacrée aux critiques de romans policiers, intitulée Le crime passe en jugement.


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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyJeu 5 Déc - 21:43

Si Conty m'était conté (09)

Bonjour les « Presses » …

Son prix de littérature policière 1953 pour son roman Opération Odyssée publié en 1952, couplé aux louanges de deux maîtres incontestés de la critique « policière » - Maurice-Bernard Endrèbe et Igor B. Maslowski, donna-t-il à Jean-Pierre Conty l’envie d’aller se vendre à d’autres maisons d’éditions plus « cotées » que celles qui le publiaient jusque-là ? C’est en tout cas à ce moment-là qu’il se décida à rejoindre les Presses de la Cité, à l’instar de Jean Bruce qui venait en début d’année de quitter le Fleuve Noir pour rejoindre ladite maison.
A l’été 1953, il délaisse donc le Fleuve Noir, qui va publier au moment de son départ son roman policier Jeux de vilains, et la Porte Saint-Martin, qui publiera juste après son départ son roman Mousmées et G.I.s, un « livre-document » alternant massacres, viols et amour « à la japonaise », signé du pseudonyme de Frank William(s).

Conty, Jean-Pierre Jeux_d10 Conty, Jean-Pierre Mousmz10
Ci-dessus : les deux derniers romans de Jean-Pierre Conty publiés au moment de son passage aux Presses de la Cité :
Jeux de Vilains, signé Jean Crau. Fleuve Noir éditions – Collection Spécial Police , #42 – AI juillet 1953…. et
Mousmées et G.I.s, signé Frank William(s). Editions de la Porte Saint-Martin – H.C. - AI 1953 T3.

Son arrivée aux Presses de la Cité s’accompagne de deux romans d’espionnage : Courrier Spécial et Canal Street - certainement deux romans qu’il avait encore en réserve. Il est par ailleurs probable que ce fut pour cette maison d’éditions que Jean-Pierre Conty signa le contrat «en bonne et due forme» dont il fit mention dans un court article autobiographique {1} [2].
Une fois de plus, Maurice-Bernard Endrèbe rédige une critique élogieuse sur ces romans :
« Voici le premier roman publié de Jean-Pierre Conty depuis qu’il a remporté son Grand Prix de Littérature policière, en mai dernier, pour Opération Odyssée (Edit. Porte Saint-Martin), et le fait même qu’il soit classé Livre de la semaine annonce déjà qu’on y retrouve toutes les qualités ayant fait le succès de ce jeune auteur. […]
« …il stimule sans cesse notre intérêt en nous faisant tour à tour douter de l’honnêteté ou de la duplicité de plusieurs personnages, de telle sorte que nous ne savons jamais si le blanc n’est pas gris et si le noir est bien noir. et tout cela aboutit à ce courrier spécial transmis par un moyen vraisemblable, mais tellement astucieux que vous serez bien malin si vous le découvrez avant que l’auteur vous le révèle, en dépit des indications données au cours du récit. […] »

Maurice-Bernard Endrèbe – Qui ? Détective n°370 du 3 août 1953,
pour Courrier Spécial.

Conty, Jean-Pierre 143_co10 Conty, Jean-Pierre 149_ca10
Ci-dessous, A gauche : Courrier spécial. Les Presses de la cité, Paris – Collection Un Mystère n°143. Achevé d’imprimer 30 juin 1953.
A droite :
Canal Street. Les Presses de la Cité, Paris – Collection Un Mystère n°149. Achevé d’imprimer 26 novembre 1953.

« En distinguant Opération Odyssée, le jury des Grands Prix de Littérature policière a fait une exception, car il s’agissait d’un roman d’espionnage. Mais c’est une exception qu’il n’a pas lieu de regretter, car J.-P. Conty s’affirme vraiment un auteur comme les jurys souhaitent en découvrir chaque année, c’est-à-dire un auteur qui n’est pas l’œuvre d’une seule œuvre. En effet, il nous donne aujourd’hui Canal Street qui, non seulement, rejoint Opération Odyssée dans notre estime, mais nous semble même dépasser l’œuvre couronnée.
« C’est un livre qu’il est absolument impossible d’abandonner avant la fin, ou alors vous n’aurez de paix avant de l’avoir repris en main. De la première à la dernière page, il est littéralement bourré d’imprévus et de rebondissements. C’est non seulement un roman d’espionnage, mais aussi une manière de récit policier pimenté de mystère dont on ne peut deviner le fin mot avant qu’il nous soit livré par l’auteur ; un “suspense” merveilleusement soutenu, et enfin – surtout même, car c’est ce qui manque le plus souvent dans ce genre de livres – l’élément humain, pathétique, n’en est aucunement absent, grâce à Laureen, une des plus attachantes figures de femme campées par l’auteur.
« Vraiment, même si vous nourrissez un préjugé à l’encontre du roman d’espionnage et d’action, lisez
Canal Street et vous serez conquis !
« Oui, il est grand dommage que Jean-Pierre Conty soit déjà lauréat du Prix de Littérature policière… car, avec Canal Street, il serait bien placé pour 1954 ! »

Maurice-Bernard Endrèbe – Qui ? Détective n°392 du 04 janvier 1954

Toutefois, le romancier « craint le côté commercial de l’usine à fabriquer des livres que peut devenir un cerveau ».[3] C’est pourquoi il va chercher, momentanément, l’évasion. Et « Son évasion, à lui, c’est le Théâtre » [3] …aussi bien scénique que radiophonique !
Il va s’occuper à terminer sa pièce policière, pour faire suite à la demande qui lui a été faite par le Théâtre de Paris [7] ; et donne à l’émission de Pierre Billard les dialogues de deux nouvelles pièces policières pour la radio : Lumière noire et Le Manteau de vison – deux pièces policières signées Jean-Pierre Conty qui seront diffusées respectivement en mai et décembre 1953 {2}.

Notes :
{1} « Probable », au vu des échos colportés sur les pratiques des autres maisons d’éditions que fréquenta précédemment l’auteur.
{2} Lumière noire : une version abrégée de sa future pièce …Affaire vous concernant, diffusée le 15 mai 1953 dans le cadre de l’émission Le Jeu du Mystère et de l’Aventure ; et Le Manteau de vison, diffusée le 29 décembre 1953 dans le cadre de l’émission Faits Divers, qui prend la suite du Jeu du Mystère et de l’Aventure.
La pièce Lumière noire fera l’objet de deux nouveaux enregistrements : le premier en 1956, par les comédiens de la station régionale de Rennes (diffusion le 20 mars 1956), le second par Pierre Billard en 1962 pour l’émission Les Maîtres du Mystère (diffusion le 25 septembre 1962 sur la Chaîne parisienne).

(à suivre...)
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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyMer 11 Déc - 17:35

Si Conty m'était conté... (10)
Le succès taillé… en pièces ! (1)

Il met à profit cette période «d’évasion» pour parachever l’écriture de … Affaire vous concernant, la pièce que le Théâtre de Paris lui avait «réservée» [7] : une histoire policière dans laquelle on retrouve le commissaire Bernu, un personnage qui apparaît déjà dans son dernier roman publié au Fleuve Noir - Jeux de vilains, et que l’on retrouvera dans plusieurs de ses futurs romans policiers.

Conty, Jean-Pierre Affich10 Conty, Jean-Pierre Une_se10
Ci-dessus, à gauche : l’affiche de …Affaire vous concernant, avec Jacques Dumesnil (le commissaire Bernu), Hubert Deschamps (l’inspecteur Constant), Jacqueline Porel et Raymond Loyer.
A droite : recto de la couverture du n° 424 du 05 janvier 1955 de la revue hebdomadaire
Une Semaine à Paris, avec les deux principaux comédiens de la pièce.

Lui-même parle de cette «première» pièce dans un court article autobiographique :
« En 1955, à mes rares moments perdus, j’écrivis aussi une pièce de théâtre qui fut créée la même année au Théâtre de Paris par Jacques Dumesnil et Jacqueline Porel. Elle quitta l’affiche en 1956 et fut aussitôt reprise en tournée par André Luguet et Jany Holt. La tournée réintégra la Capitale au début de l’année 1957. A la fin de la même année, la pièce fut créée à la télévision par Yves Deniaud » {1} [2].
Il profite de cette écriture pour en tirer le texte d’un roman qu’il intitulera Le ciel m’est témoin [1], et qui paraîtra tout début 1954, avant même la programmation de la pièce au théâtre.

Conty, Jean-Pierre Le_cie10 Conty, Jean-Pierre Le_cie12
Ci-dessous : Le Ciel m’est témoin - roman policier tiré de la pièce … Affaire vous concernant - Presses de la Cité, Paris - collection Un Mystère n°151
achevé d’imprimer en janvier 1954. Comme indiqué en quatrième de couverture, la pièce fit l’objet d’une adaptation radiophonique,
sous le titre
Lumière Noire, dans le cadre de l’émission Le Jeu du Mystère et de l’Aventure – diffusion le 15 mai 1953.

Représentée pour la première fois le 2 décembre 1954 au Théâtre de Paris, la pièce fut un énorme succès ; et les critiques, unanimes :
« Une excellente comédie policière. Ce qui compte ici, c’est que nous ne nous sommes pas ennuyés une minute sur trois actes. C’est que toute l’enquête, qui occupe la plus grande partie de l’ouvrage, est menée avec un sens parfait de ce que les gens de cinéma appellent le « suspense » et que nous nommons, nous, l’intérêt de curiosité. L’auteur maintient en haleine le spectateur. Voilà ce qui importe dans un tel ouvrage.
« La distribution est, en général, excellente, la pièce jouée de façon remarquable. Et il est juste d’inviter les amateurs du genre à aller se divertir des nombreux traits humoristiques qui donnent à cette comédie policière son caractère jeune, sa gentillesse, son absence de prétention. […] »
.
Jean-Jacques Gautier dans Le Figaro.

« […] le « genre policier » répond à une demande réelle, nombreuse, assidue ; celle des gens qui, adorant les devinettes, sont ravis de constater, in fine, que la solution est bien celle qu’ils avaient imaginée – ou cru imaginer. […] Naturellement, le plaisir est d’autant plus grand que la solution « colle » plus étroitement aux données. La recherche du crime parfait est, en quelque sorte, la quête du Graal des auteurs policiers, leur poursuite de l’Eldorado.
« Au Théâtre de Paris, M. Jean-Pierre Conty reprend cette quête qui est une enquête et nous fait à son tour bon poids de « suspense » (on écrira bientôt ce mot sans guillemets), non sans demander parfois à un certain humour de nous décharger d’une partie de notre fardeau d’angoisse métaphysique (car il y a une métaphysique policière, et même une théodicée, ainsi que le prouvent des expressions comme “anges gardiens” ».

Guy Verdot dans Franc-Tireur.

« Docteur ès crimes, lauréat en 1953 du Grand Prix de Littérature policière avec son premier roman Opération Odyssée, M. Jean-Pierre Conty a construit pour ses débuts au théâtre une pièce adroitement agencée, très bien dialoguée, dont les multiples péripéties ont le mérite d’être amusantes ou dramatiques, en se basant toujours bien plus sur les caractères et la psychologie des personnages que sur de simples faits.
« Les policiers, les hommes, les femmes qui défilent au cours de l’enquête menée par le commissaire Bernu ne sont nullement des fantoches. Ce sont des êtres comme vous et moi sont les réactions nous intéressent ou nous font rire d’autant plus sûrement qu’elles n’ont absolument rien d’exceptionnel.
« Bien entendu, je ne vous raconterai pas l’histoire. Ce serait, en la déflorant, vous ôter tout plaisir à l’entendre. Sachez seulement que ce plaisir est indiscutable et que la pièce a remporté un très vif succès qui devrait être durable. Jacques Dumesnil, dans le personnage de Bernu, a fait de ce nouveau Maigret une création remarquable de vie et d’autorité. Jacqueline Porel et Raymond Loyer sont un couple d’amants torturée, inquiétants parfois, mais toujours fort sympathiques.
« Une soirée reposante, fort amusante, qui vous tient en haleine et excite l’intérêt sans la moindre lassitude du premier instant jusqu’au dernier. Voilà, n’est-il pas vrai, quelque chose d’assez rare pour que le public se rue au Théâtre de Paris ? »

A.-P. Antoine dans L’Information.

Après plusieurs mois de représentation à Paris, la pièce « fut reprise en tournée par André Luguet et Jany Holt. A la télévision, la pièce fut jouée par Yves Deniaud dans le rôle créé par Jacques Dumesnil, et reprise dans la distribution originale pour l’émission « Au théâtre ce soir » {2}. Claude Winter, de la Comédie-Française, y reprit le rôle créé par Jacqueline Porel. “Affaire vous concernant” fut également diffusée par de nombreux postes étrangers, et créée au théâtre derrière le Rideau de Fer. Ce fut, notamment, un grand succès en Pologne  » [5].
Voilà un triomphe pour le moins… « retentissant », à l’image du premier spectacle public qu’il avait donné quand il avait neuf ans !
C’est le succès de cette pièce, « représentée au Théâtre de Paris, puis en tournée en France et à l’Etranger, qui le décida à quitter définitivement les affaires »
. {3}[5]

Notes :
{1} Jean-Pierre Conty se fourvoie ici quelque peu dans les dates. Si la pièce fut jouée, au départ, essentiellement sur 1955, les premières représentations datent de fin 1954, et la pièce fut montée à partir d’un texte écrit forcément précédemment, c’est-à-dire en 1954, voire à partir de 1953. De même, la pièce quitta l’affiche parisienne fin avril 1955, et non en 1956, et ne semble pas avoir été reprise en 1957 dans un théâtre parisien, comme l’indique l’auteur. Elle fit l’objet d’une adaptation pour la télévision en 1956 (réalisation : Claude Loursais, diffusion le 25 août 1956), et fut reprise au Théâtre Marigny début 1969 avec un enregistrement dans le cadre de l’émission Au Théâtre ce soir (enregistrement le 27 février 1969, diffusion le 08 août 1969).
{2} Enregistrement le 22 février 1969 au théâtre Marigny de Paris – Diffusion sur la 1ère chaîne de télévision le 8 août 1969
{3} La pièce fut à l’affiche à Varsovie au printemps 1958 sous le titre “Suicide Parfait”. (Information : «le Figaro» du 22 avril 1958)

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyVen 20 Déc - 19:23

Si Conty m'était conté... (11)

Le succès taillé … en pièces ! (2)

Toujours dans cette période «d’évasion» et parallèlement à l’écriture de …Affaire vous concernant, il avait «écrit et fait représenter une seconde pièce qui, à l’inverse de la première, fut créée en province et fit la tournée des casinos avant de s’installer à l’Ambigu, avec Suzy Prim et Harry Max» [2]. Il s’agit de La grande Félia, une pièce policière «noire», écrite avec la collaboration de Michel Chanteloup.
Créée au Casino de Nice en 1954 [10], la «première» parisienne fut jouée le 25 mars 1955 {1}, et resta à l’affiche jusqu’en avril 1956. Là encore, comme avec …Affaire vous concernant, l’auteur en tira un roman (à moins que ce ne fut l’inverse), titré Mabrouk s’en va-t-en terre et publié dès octobre 1954 aux Presses de la Cité dans la série Un Mystère.

Conty, Jean-Pierre Mabrou10 Conty, Jean-Pierre Mabrou12
Ci-dessus : Recto et verso de la couverture de Mabrouk s’en va-t-en terre.
Presses de la Cité, Paris - Collection Un Mystère – Police n°183
achevé d’imprimer le 29 septembre 1954.
L'auteur indique, par éditeur interposé, qu'"un théâtre parisien accueillera prochainement
les pittoresques protagonistes de ce drame violent et pathétique "

La revue des deux mondes fit de la pièce la critique suivante :
« Il est bon de respecter les traditions. C’est ce que fait l’Ambigu, ancien asile du vieux drame, en nous offrant la grande Félia. Cette pièce dont l’action se situe dans le « milieu », figure assez bien ce que pourraient être, de nos jours, des Mystères de Paris où manquerait Rodolphe et dont Fleur-de-Marie ne sortirait pas intacte. […]

Conty, Jean-Pierre La_gra10 Conty, Jean-Pierre Suzy_p10
Ci-dessus : affiche de La grande Félia, de Jean-Pierre Conty avec la collaboration de Michel Chanteloup
(illustration prélevée sur le site de l'Association de Régie Théâtrale), et Suzy Prim - La grande Félia

« La "grande Félia", héroïne de la pièce, a des bontés pour le jeune guitariste Francis, de beaucoup son cadet, lequel est en butte à la haine de Gino, chef de bande. L’attaque par les hommes de Gino de la boîte de nuit tenue par la grande Félia déchaîne une série de péripéties marquées par trois morts d’homme et entourées d’un mystère que le dernier tableau élucidera, bien entendu, pour ceux qui n’auront pas trouvé la clé.
« Ces sortes de spectacles dits «réalistes» bénéficient du succès remporté par les romans de la Série Noire. […] Au surplus, la pièce, malgré la puérilité de certaines scènes, n’est pas ennuyeuse et Mme Suzy Prim joue avec naturel et aisance le personnage principal. M. Harry Max met beaucoup de malice dans son rôle de vieil ami de la maison, toujours entre deux alcools et moins falot qu’on ne le pense. […] »

Robert Bourget-Pailleron

Accaparé par le théâtre en cette fin 1954 / début 1955, l’auteur est peu enclin à l’écriture de nouveaux romans. Pour assurer une production soutenue dans la collection Un Mystère des Presses de la Cité, il fait rééditer le dernier titre publié début 1953 dans la série Guerre Secrète des Éditions de la Porte Saint-Martin (Dernier Message – réédition : Un mystère « espionnage » n°229 – AI xxxxx), et son premier titre publié à l’été 1953 aux Presses de la Cité (Courrier spécial – Un Mystère « espionnage » n°143 – AI 23-06-1955) ), en faisant mention sur la couverture de son Grand Prix de Littérature Policière {2}.

Conty, Jean-Pierre Dernie10 Conty, Jean-Pierre Courri14
Ci-dessus : Rééditions de Dernier message et Courrier spécial


Le succès de ses deux comédies policières - …Affaire vous concernant et La grande Félia - ne lui font pas oublier pour autant le côté «grandguignolesque» qu’il affectionne tant : En novembre 1956, il fait représenter au Théâtre du Grand Guignol un drame policier en un acte : L’Assassin, lors d’une affiche qu’il partage (pour la partie «drame») avec Meurtre au ralenti de Pierre Boileau et Thomas Narcejac.
L’Assassin, programmé en lever de rideau, n’est en fait que la mise en scène de la première nouvelle policière L’Erreur réparée qu’il avait publiée six ans plus tôt dans Mystère-Magazine.
« Avec “L’Assassin” de Jean-Pierre Conty, on entre de plain-pied dans le drame. Un mari est soupçonné d’avoir assassiné sa femme. Soupçon injustifié. Mais l’enquête révélant l’infidélité de la dame, le mari, les policiers partis, la tuera. Drame rapide et vigoureux par l’un des meilleurs spécialistes du genre », commenta le critique de L’Aurore.

Conty, Jean-Pierre Progra10
Ci-dessus, la programmation au Grand Guignol, entre le 22 novembre 1956 et le 17 mai 1957.
Le critique du Figaro, lui, se montra plus circonspect : «Depuis que la réalité dépasse largement la fiction, les auteurs du Grand-Guignol éprouvent bien des difficultés à raffiner suffisamment leurs recettes d’épouvante. […] En fin de compte, les vieux mélos sanglants étaient à cet égard bien plus efficaces, et l’on avait au moins la ressource d’en rire s’ils paraissaient excessifs.
« L’Assassin, de J.-P. Conty, évite cet écueil en se cantonnant dans le drame policier psychologique : la tache rouge qui fleurit sur la robe de la victime est la seule concession un peu inutile au style grand-guignolesque. L’affaire est bien menée par Jean Clarieux, mais elle ne dépasse guère l’intérêt d’une enquête de quartier.»

Jean-Pierre Conty prenait là sa revanche sur la mise en scène avec «effet d’épanchement sanglant» qu’il n’avait pu mettre en œuvre au Théâtre de Béziers pendant la guerre [3].
Quant au journaliste et célèbre verbicruciste Max Favalelli, il en fit la critique suivante dans le Paris-Presse du 22 novembre 1956 : «On ne va jamais impunément au Grand Guignol. Certes, la maison respecte la tradition avec un drame policier dont l’idée très originale est due à M. Jean-Pierre Conty. Cela s’appelle L’Assassin. Et ça dit bien ce que ça veut dire. On y peut admirer M. Henry Darbrey qui est l’acteur-type du Grand Guignol. Toujours un rictus au coin des lèvres, l’œil constamment exorbité, il a une façon à lui d’ouvrir les placards qui vous persuade que celui-ci regorge de cadavres.»
La revue des deux mondes n’en souffla que quelques mots dans son numéro de janvier 1957 : «L’Assassin, de Jean-Pierre Conty, est assez bien agencé pour amener, au cours des dernières répliques, un effet de surprise dans la bonne tradition».

Dans le même temps, Jean-Pierre Conty était retourné au roman, avec un héros plein de promesses qu’il venait de créer en 1955 et que la célébrité portera jusque sur le grand et le petit écran : M. Suzuki

Notes :
{1} La première était programmée et fut annoncée dans Une Semaine à Paris, mais d’une manière « incertaine », pour le 18 mars 1955
{2} On note également une autre réédition, parue en 1956 aux Éditions Thill, pirate celle-ci et quelque peu «rognée», de son Ombres sur Pearl-Harbor de 1952/53, sous le titre l’Ombre de la mort et la signature de Jack Lavignac : une signature inventée par l’éditeur, chez qui œuvra un certain Marcel Dauchy, personnage que nous avons précédemment rencontré à la Librairie des Éditions de la Porte Saint Martin, au moment où Jean-Pierre Conty y apportait le manuscrit de son Opération Odyssée.

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptySam 28 Déc - 8:30

Si Conty m'était conté... (12)
Monsieur SUZUKI, espion…

Jean-Pierre Conty crée le personnage de Monsieur Suzuki, espion, pour le roman au titre éponyme publié par Les Presses de la Cité à l’été 1955, dans la Collection Un Mystère. Le personnage va devenir le héros d’une centaine d’aventures (103 exactement {1}), jusqu’au décès de son créateur, survenu en 1984.

C’était l’époque où les romanciers d’espionnage pouvaient devenir des auteurs à succès (des «best-sellers») en contant les aventures d’un héros récurrent : un héros amateur de situations à hauts risques et de femmes intrigantes, et, évidemment, invincible, comme il se devait de l’être.

Maurice-Bernard Endrèbe avait classé Jean-Pierre Conty, dès 1953, parmi les meilleurs auteurs français de romans d’espionnage :
« Jean Bruce, Jean-Pierre Conty et Yves Fougères sont certainement les trois meilleurs auteurs français de romans d’espionnage qui nous aient été révélés depuis Pierre Nord, car, là encore, il y a beaucoup d’appelés, mais peu qui soient définitivement élus par le public. Sans doute ces trois auteurs ont-ils fini par l’emporter parce que chacun d’eux à un genre personnel, au lieu de chercher à copier autrui ». {2}

Jean Bruce avait créé quelques années plus tôt, en 1949, un tel personnage à succès, avec son Hubert Bonisseur de la Bath, d’abord détective privé puis agent secret sous le matricule d’O.S.S. 117 : un héros dont les aventures nous furent d’abord contées par les éditions Fleuve Noir, avant que son auteur ne publie aux Presses de la Cité, début 1953. C’est là qu’il fut rejoint cette même année par Jean-Pierre Conty, qui venait de publier une dizaine de romans d’espionnage chez trois éditeurs : au Fleuve Noir (deux romans - voire trois {3} - sous la signature de Jean Crau), à celles du Trotteur (deux romans sous la signature d’Yves Rollat) et aux Éditions de la Porte Saint-Martin (six romans sous la signature de Jean-Pierre Conty). {4}

M. Suzuki apparut dans le huitième roman que notre romancier publia aux Presses de la Cité, avec le titre Monsieur Suzuki, espion {5}. Il se peut que la réussite de Jean Bruce, avec son héros O.S.S. 117, ait incité Jean-Pierre Conty à composer un personnage à succès qui serait, lui aussi, source d’exploits dans de nombreuses aventures d’espionnage, à l’instar d’un troisième personnage de roman, également héros de la guerre secrète, et qui était arrivé au Fleuve Noir en remplacement de la « disparition » de celui de Jean Bruce : Francis Coplan, alias FX-18, héros du bicéphale Belge Paul Kenny.

Conty, Jean-Pierre Monsie10 Conty, Jean-Pierre Monsie12
Ci-dessus : Monsieur Suzuki, espion. Presses de la cité, Paris
Collection Un Mystère, n°210 – Achevé d’imprimer 30 juillet 1955.

Une enquête sur les auteurs de romans policiers publiée dans l’hebdomadaire Qui ? Détective, en 1957 {6}, rapportait que ce fut en se documentant pour son roman d’espionnage Ombres sur Pearl-Harbor {7} que Jean-Pierre Conty «vit surgir ces petits espions japonais qui avaient silencieusement, avec un innocent demi-sourire, préparé la plus grande surprise de la nation américaine, et le plus retentissant échec de son service d’espionnage» [3].
D’où la naissance de son héros : «M. Suzuki, qui porte un nom aussi banal au Japon que Durand en France, est né d’eux. Secret, courtois, patient, souriant, il agit presque toujours de manière inattendue, sans qu’on sache ce qu’il pense».[3]

Conty, Jean-Pierre Ombres10
Ombres sur Pearl-Harbor, l’ouvrage qui inspira à Jean-Pierre Conty le personnage de M. Suzuki.
Achevé d’imprimer 15 déc. 1952 ? - Éditions de la Porte Saint-Martin, Paris – Hors « Série »
.

En 1969, alors qu’il recevait les Palmes d’Or du Roman d’Espionnage (un prix interne à la maison d’éditions Fleuve Noir) pour son roman “M. Suzuki sert d’appât”, Jean-Pierre Pierre Conty répondait à Romy Schneider qui lui demandait pourquoi son héros était japonais :
«Les Japonais sont réputés pour l’audace inouïe de leurs entreprises. Ils voient grand et n’ont pas froid aux yeux. Polis, astucieux, timides, ils deviennent redoutables lorsqu’ils se fâchent» [5].

Au verso de la couverture du titre Monsieur Suzuki, Jean-Pierre Conty présentait son héros de la manière suivante : « M. Suzuki n’est pas un espion comme les autres. Il ne se prend ni pour Tarzan, ni pour Casanova. Aimable, disert, lettré, bon père et bon époux, il a horreur de la violence, du sang répandu et des armes, quelles qu’elles soient.
« Mais que ses adversaires ne se fient pas trop à son aspect chétif. M. Suzuki est l’homme des surprises désagréables. Il ne fait usage de sa force qu’en tout dernier recours.
« Plus encore que sa virtuosité de ceinture noire, sa diabolique astuce en fait un agent redoutable, qualifié pour les missions d’une importance exceptionnelle. M. Suzuki exerce son métier avec une louable conscience professionnelle. »


Un article de 1974, publié dans le bulletin Fleuve Noir-Informations et titré “Jean-Pierre Conty, « Le Prélat » de la littérature d’action”, rapportait que « s’il a choisi pour son héros une origine japonaise, c’est qu’il a voulu prendre le contre-pied de la psychologie habituelle. […] M. Suzuki, c’est l’homme tranquille, tout le contraire du fier-à-bras, sorte de Don Juan-Superman devant qui tous les hommes s’écroulent et les femmes tombent dans ses bras dès qu’il apparaît. […] Avec son héros indomptable, le mystérieux M. Suzuki, Jean-Pierre Conty s’inscrit en faux contre l’affirmation qui veut que les romanciers aiment à se décrire dans leur personnage central. Jean-Pierre est très grand : un mètre quatre-vingt-sept. M. Suzuki, au contraire, est très nettement en dessous de la moyenne, pour la taille, si ce n’est par l’intelligence ». [6]

En 1971, au cours d’une table ronde qui réunissait quatre auteurs du Fleuve Noir ayant obtenu les Palmes d’Or du roman d’espionnage {8} (Paul Kenny, Fred Noro, Jean-Pierre Conty et Pierre Nemours), Jean-Pierre Conty attribuait les raisons du succès de son personnage au besoin, selon lui, de projection - voire d’identification - du lecteur : « Par ailleurs, il se trouve que j’ai appris par des lecteurs que certains s’identifient à Monsieur Suzuki. […] Des gens qui sont petits, qui n’ont pas le prestige physique, qui ne sont pas des japonais, mais qui voient qu’un homme qui est petit… Enfin de volume en volume, j’ai agrandi sa carrure à la demande générale ! Mais il y a, au contraire, ceux qui trouvent très réconfortant de voir un homme petit, maigre, à l’apparence d’un gringalet, casser la figure à des malabars. Il y a une identification pour certains lecteurs, parce qu’il y a plus de gens petits et gringalets que d’hercules de foire. » [7]

Lucienne Mornay saluait déjà début 1957 dans son article pour Qui ? Détective, les mérites de M. Suzuki, qui n’en était alors qu’à ses premières aventures :
« On sait qu’il revient toujours, même de très loin, modestement triomphant, bien poli, gentiment invulnérable, après avoir réduit à l’état de fantômes des ennemis que chaque roman renouvelle avec bonheur.
« Il fera même, bientôt, sa première apparition au cinéma, sous les traits de Jean Thielment (qui, lui, apprend le judo en attendant) ».
[3]

Le cinéma !... Comment imaginer qu’un tel héros pouvait rester absent du grand écran, alors que ses « concurrents » y débarquaient, et justement en cette année 1957 : O.S.S.117, qui apparaissait sous les traits d’Ivan Desny dans OSS 117 n’est pas mort, et FX 18 et son Action immédiate, avec Henri Vidal dans le rôle de l’agent du 2ème Bureau Francis Coplan.

Mais l’arrivée de M. Suzuki au cinéma, si elle fut un peu plus tardive, fut peu banale, comme nous allons le voir…

Notes :
{1} Mis à part La Revanche du mort (où le personnage de Woo-Chee cache en réalité le héros M. Suzuki et ne dévoile sa véritable identité qu’au dernier mot du roman) et Le Congrès des sorcières, tous les titres des aventures de l’espion japonais M. Suzuki mentionnent le nom du héros dans leur énonciation.
{2} In Qui détective n°359 du 18 mai 1953 – critique du roman Dernier Message de Jean-Pierre Conty (son dernier roman d’espionnage publié aux Editions de la Porte Saint-Martin dans la série Guerre Secrète début 1953).
{3} Son roman Deux Poupées sur les bras, paru dans la Collection Spécial Police (n°27) est à considérer comme un roman d’espionnage plutôt que comme un roman policier, compte-tenu de l’intrigue et des personnages mis en scène.
{4} Voir la partie « bibliographie » consacrée à l’auteur.
{5} Monsieur Suzuki, espion, en page de titre (titré Mr. Suzuki, espion en couverture), par Jean-Pierre Conty - les Presses de la Cité, Paris - Collection “Un Mystère”, n°210 - Achevé d’imprimer : 30 juillet 1955. On retrouvera régulièrement sur les couvertures, pages de titre et textes intérieurs des ouvrages de la série des « M. Suzuki », l’erreur classique consistant à écrire « Mr » (l’abréviation de « Mister » en anglais) à la place de « M. », l’abréviation conventionnelle de « Monsieur » en français.
{6} Jean-Pierre Conty, le plus Japonais des Français – cf. [3]
{7} Ombres sur Pearl-Harbor, par Jean-Pierre Conty – Les Éditions de la Porte Saint-Martin, Paris – Hors collection – Achevé d’imprimer : 15 décembre 1952 - Dépôt légal imprimeur : 1er trimestre 1953.
{8} “Les Palmes d’Or du roman d’espionnage” fut un prix annuel interne à la maison d’éditions Fleuve Noir. Créé en 1960, il récompensait « des auteurs d’action de grande qualité, spécialisés dans les intrigues d’espionnage et il [dut] à ce choix d’avoir fort justement été couronné le “Goncourt” du roman d’espionnage ». C’est en tout cas ce qu’écrivait Eugène Moineau dans la revue mensuelle Fleuve Noir-Informations qu’il manageait ; et il poursuivait : « En France comme à l’étranger, ces auteurs passent parmi les tout premiers dans ce genre littéraire qui n’est pas fait que d’imagination, mais bien au contraire, réclament des qualités de conteur et de romancier, ainsi que des données et des références sérieuses relatives aux grands problèmes d’ordre international de l’heure. »
Paul Kenny obtint ces “Palmes d’Or” – les « premières » - en 1960, Fred Noro celles de 1968, Jean-Pierre Conty celles de 1969 et Pierre Nemours celles de 1970.

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MessageSujet: si Conty m'était conté   Conty, Jean-Pierre EmptyLun 6 Jan - 9:50

Si Conty m'était conté... (13)
M. SUZUKI fait son cinéma…

Une nuit de 1955, Jean Thielment, un comédien qui tournait au cinéma depuis une dizaine d’années des rôles spécialisés d’asiatiques, n’arrivant pas à trouver le sommeil. se décidait à se plonger dans un roman, et tombait sur un espionnage de Jean-Pierre Conty mettant en scène M. Suzuki :
« Dès les premières pages, il savait qu’il en aurait jusqu’à l’aube. Au mot « fin », il bondissait de son lit et courait se planter devant un miroir. Il détailla ses yeux bridés, ses cheveux noirs et lisses, son visage impassible et s’écria : « M. Suzuki, c’est moi ! » […]

Conty, Jean-Pierre Jean_t10
Ci-dessus : Jean Thielment dans le film
Pas de coup dur pour Johnny (1954)

« Dès le lendemain matin, l’exemplaire du roman de Jean-Pierre Conty à la main, il se précipita rue du Bac aux Presses de la Cité, maison qui avait édité l’ouvrage. Jouant le grand jeu, il réussit à convaincre une secrétaire de lui donner l’adresse de l’auteur. C’était à Auteuil {1}, dans un immeuble moderne ou chaque sonnette correspondait à un interphone. Grâce à cet appareil, le dialogue prit une allure de communication entre agents secrets. […] » {2}
A l’instar de Jean Thielment , Jean-Pierre Conty se remémora lui aussi ce jour-là :
« […]
« — Qui est là ? interrogea le romancier.
— C’est M. Suzuki, répondit une voix à l’accent asiatique.
« Jean-Pierre Conty sursauta. Il hésita à discerner une plaisanterie ou à croire à un véritable nippon effectivement nommé Suzuki et appuya pour complément d’information sur le bouton électrique d’ouverture de la porte.
« Un moment après, l’ascenseur déversait dans son salon un homme au physique quelque peu asiatique qui avoua, bien plus tard, se nommer plus prosaïquement M. Thielment. {3}
— C’est moi, M. Suzuki, lui déclara l’inconnu. J’ai lu tous vos livres et je veux absolument jouer ce rôle au cinéma. »
[6]
Cette phrase fit plus que de longs discours. Bientôt, et sans même avoir eu besoin de négocier, Jean Thielment repartait de chez Jean-Pierre Conty avec l’accord verbal pour les droits d’adaptation cinématographique de «M. Suzuki».
Le romancier fit toutefois remarquer à «M. Suzuki» que, n’étant pas vedette, il se demandait qui lui donnerait l’argent nécessaire ; mais, à la demande du comédien, il lui donna son accord pour que ce dernier trouve par lui-même les millions nécessaires au montage du film.[6] Dans cette optique, la vie du comédien changea aussitôt : « Le jour, il cherchait des capitaux pour faire le film. La nuit, il gagnait sa vie comme débardeur aux Halles. […] Il dut attendre, cependant, quatre ans avant de pouvoir y intéresser un producteur et un metteur en scène, Robert Vernay ».{4}

Conty, Jean-Pierre Jean_t12
Ci-dessus : Le judoka et futur M. Suzuki - Jean Thielment, aux prises
avec le «champion de lutte gréco-romaine» - Jean-Pierre Conty.
(Cliché Albert Jammaron pour Qui ? Détective n°559 du 18 mars 1957)

Le film, titré tout simplement Mr. Suzuki et réalisé par Robert Vernay d’après de roman de Jean-Pierre Conty M. Suzuki prend la mouche, fut tourné en 1959, et sortit sur les écrans en février 1960. Jean Thielment y tint le rôle du héros - M. Suzuki - alors même que son nom n’était crédité qu’en bas de l’affiche du film… (dur dur, quand on n’est pas connu, d’être en haut de l’affiche !)

Conty, Jean-Pierre Affich12
Ci-dessus : affiche du film M. Suzuki de Robert Vernay,
avec Jean Thielment dans le rôle du fameux espion japonais.

Pour le tournage du film, Jean-Pïerre Conty rapporta qu’il fit engager un ancien aviateur polonais qui avait mené une vie mouvementée pour tenir le rôle d’un homme de main «musclé», et qu’il aimait bavarder avec lui entre les séances de tournage. C’est ainsi qu’il apprit de « l’aventurier quasi professionnel des aventures extraordinaires, fertiles en péripéties de toutes sortes », et qu’il en fit le sujet d’un roman [6].

Jean Thielment souhaita ne pas s’arrêter à ce premier film, et se rapprocha du réalisateur TV Roger Pradines pour convaincre la Direction des Programmes de la Télévision de tourner une nouvelle aventure de M. Suzuki. Il faudra attendre trois ans, jusqu’en 1962, pour que l’accord soit donné… mais sans trop savoir, au moment du tournage, s’il s’agirait d’un feuilleton en six épisodes ou d’une seule émission (cette dernière option sera en fin de compte retenue, peut-être au cours du montage) {5}. Le téléfilm – une adaptation du roman de Jean-Pierre Conty M. Suzuki creuse sa tombe – fut diffusé le 3 juin 1962.

Conty, Jean-Pierre La_vie12
Ci-dessus : France Anglade et Jean Thielment en tournage de Mr. Suzuki, agent secret.
Une séquence se passant à bord de l’express Paris- Nice «le Mistral», la revue
La Vie du Rail consacra un article au téléfilm dans son n°837 du 11 mars 1962.

Les adaptations cinématographiques du héros de Jean-Pierre Conty s’arrêtèrent avec ce téléfilm, même si la société Pathé acquit par la suite les droits avec le projet de réaliser treize émissions d’une heure d’après les aventures de M. Suzuki.[10]

Notes :
{1} Jean-Pierre Conty habitait alors 4, Villa Flore, dans le XVIème arrondissement de Paris.
{2} In Présentation du téléfilm M. Suzuki, agent secret – Télé 7 jours n°115 du 2 juin 1962.
{3} Jean Thielment fut un acteur de cinéma que l’on vit à partir de 1945 dans des seconds rôles, notamment d’asiatiques. Ses derniers rôles remontent au début des années 1970 pour la télévision. Dans une interview donnée à Télé 7 jours pour la promotion du téléfilm de 1962 M. Suzuki, agent secret, Jean Thielment indiquait être né en 1917 à Saint-Mandé (94) ; dans l’interview donnée pour le même motif à Télé Magazine, il annonçait le 12 décembre 1917 pour sa date de naissance, déclarée à Paris XIVème…Mais les tables décennales des naissances de Saint-Mandé et de Paris XIVème, accessibles via Internet, restent muettes sur son nom pour 1917….
{4} In Présentation du téléfilm M. Suzuki, agent secret – Télé 7 jours n°115 du 2 juin 1962.
Dans la présentation du téléfilm qu’en fit Télé Magazine (n°345 du 3 juin 1962), il est rapporté que c’est dans «une grande usine de teinture et de nettoyage» que Jean Thielment travailla la nuit pendant un an pour gagner sa vie en évitant d’accepter des petits rôles au cinéma où il aurait perdu toute crédibilité pour jouer ultérieurement le rôle principal de M. Suzuki.
{5} Ibidem.

(à suivre…)
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