S O U S - M A R I N I E R:
UNE MARQUE INDELEBILE !
Dans ce que je vais essayer d'écrire, nombre de mes anciens "Frères d'Armes"se reconnaîtront, d'autres ne seront peut-être pas entièrement d'accord avec moi. Je reconnais à quiconque un droit de réponse, car si je cède facilement à la nostalgie peut-être aussi au romantisme, il n'en reste pas moins que nous avons souffert sur les bateaux "noirs", comme on disait parfois.
Vous pourriez me répondre que nous avons été payés pour cela, sûrement, mais l'argent suffit-il pour justifier d'avoir passer les plus belles années de notre jeunesse au service des Sous-Marins ?
Je sais qu'aujourd'hui tout se dénigre, mais je sais aussi que la plupart de mes anciens Camarades comme moi-mème ; étions fiers d'appartenir à l'Arme Sous-Marine, fiers de servir sur ces bâtiments d'un "autre monde".
Les Français ne connaissent que trop peu leur Marine, c'est dommage pour un pays qui possède un si long passé maritime, puissent les quelques textes qui vont suivre, leur faire savoir que là-bas au fond des océans des "petits gars"veillent pour eux, pour leur pays, qu'ils n'aiment pas plus la guerre que vous ou moi, mais qu'ils sont prêts à se battre, comme nous l'étions ; seuls ceux qui luttent vivent, c'est la destinée, je n'ai rien inventé, je vais tenter de vous raconter...
Volontairement je ne vais pas citer de noms, ni des personnes, ni des bâtiments sur lesquels j'ai servi, afin d'éviter toute polémique et tout esprit partisan.
- Sonar tour d'horizon à l'écoute.
Le CDT (Commandant) vient de s'assoir sur le siège du périscope d'attaque, il regarde la table traçante, évalue la situation en surface, jette un oeil sur les GCO 2, (genre de sonar à graphique déroulant).
- Sonar vous dormez ou quoi ?
- Non CDT tour d'horizon effectué, pas de bruiteurs à l'écoute.
- Bien !
Puis, il se saisit d'un micro et ordonne au barreur de direction, à droite 15.
- A droite 15 répond celui-ci...la barre est 15 à droite.
- Bien ! Venir au 090
- Venir au 090, et quelques instants plus tard ... en route au 090
- Bien !
A cette époque je suis encore un jeune matelot, c'était un peu aprés mai 68 pour situer, cette année là en Janvier nos Amis du Sous-Marin MINERVE avaient disparu corps et bien, le Général DE GAULLE alors Président de la République, était venu à la base des Sous-Marins de Toulon, j'avais eu l'opportunité d'être dans la garde d'honneur qui lui présenta les Armes, je n'ai jamais oublié cet instant, mais revenons à nos moutons si j'ose dire:
- A gauche 15
- A gauche 15... la barre est 15 à gauche.
- Bien! gouverner au nord.
- Gouverner au nord... en route au nord.
- Bien !
Le CDT vient de terminer sa "baïonnette", il a ainsi plus de sûreté pour la détection possible d'un éventuel bâtiment, tout là-haut en surface.
- Moteurs avant 2
Le barreur de direction répète l'ordre, puis affiche sur les TTOM (transmetteurs d'ordres moteurs) la vitesse ordonnée.
- Les moteurs sont réglés AV 2
- Biens ! central préparez-vous à reprendre la vue, je "prends" ajoute le CDT, l'officier de quart se dirige alors vers la "piste" du périscope de veille .
Reprendre la vue, c'est à dire remonter à l'immersion périscopique ; c'est sûrement la maneuvre la plus dangereuse pour un Sous-Marin, car parfois suivant l'état de la mer un cargo "lège" peut passer au travers de la détection du sonar, si son hélice sort un peu de l'eau sous l'effet des vagues par exemple, le risque d'abordage est toujours possible, pour le CDT et l'officier de quart la sécurité n'est pas un vain mot.
l'Officier en Second arrive également, la reprise de vue exige toutes les compétences :
- 30 mètres ordonne le CDT
- 30 mètres, répète le Maître de Central.
- Pas de bruiteurs au DUUX (appareil passif de mesures de distance ) annonce le chef de CO(central opérationnel).
- Tout est clair en surface.
- Bien ! approuve le CDT.
Le Poste Central ; où se trouvent toutes les commandes de sécurité plongée, barres, purges et chasses aux ballasts notamment, et bien d'autres choses sur lesquelles nous reviendrons, annonce:
- Immersion 30 mètres
- Bien ! répond le CDT,12 mètres moteurs AV 4.
- 12 mètres, moteurs AV 4 répète le Maître de Central...
Et c'est parti, je pourrais encore le faire, je revis tous ces moments là ; bien calé sur le siège du barreur de plongée, la barre arrière à -20, la barre avant à + 10, le mastodonte d'acier se redresse, je suis du regard le niveau sur le tableau de plongée en face de moi, il s'élève, avant qu'il n'atteigne 6° ou 7° en positif, vite les barres à zéro, prêt à contrer pour maintenir l'assiette à +10°, cela vous paraît compliqué ? mais tout est affaire d'entraînement, encore et encore... J'ai connu des Commandants qui n'aimaient que les bons barreurs, entre nous c'était une véritable compétition, un fait nous motivait (dans le bon sens du terme), être nommé au poste de barreur de combat, nous vivions cela comme une consécration, et je crois en effet que cela en était une... Le barreur de combat est forcément le meilleur du bord.
Le Maître de Central en même temps, hurle dans le porte-voix qui aboutit en dessous du central, dans le compartiment des auxiliaires :
- Admettre 500
- O K ! répond le mécano de quart, admettre 500 (litres d'eau)
C'est pour alourdir le Sous-Marin, car à l'immersion périscopique, la pesée varie presque toujours.Comme elle varie souvent en changeant de vitesse.
- immersion 12 mètres !
Assis sur le siège du périscope d'attaque, le CDT effectue rapidement un tour d'horizon visuel, la tension retombe un peu, pas de danger immédiat, voilà bien sûr, ce qu'espèrait le CDT ; du moins c'est le souvenir le plus réel que je garde de l'époque, je n'ai jamais sous estimé aucun des "vieux" (appellation un peu légère qui se donnait parfois au CDT) sous lesquels j'ai servi, mais l'erreur est humaine et j'avoue que nous avions plus confiance en certains officiers que dans d'autres...
- Hissez le périscope de veille... (moins discret que le périscope d'attaque, mais plus fonctionnel)
Chaque opération, chaque ordre, doivent être donnés en temps et en heure, suivant les consignes précises des ordres permanents du CDT, ajoutées au cahier des consignes générales, que tout sous-marinier doit savoir.
Les navigations se succédaient au rythme des exercices, des patrouilles, dont certaines étaient qualifiées de "guerre", car là nous embarquions effectivement des torpilles de combat, c'est-à-dire des torpilles réelles, les torpilles d'exercices que nous lançions régulièrement, se récupèrent ensuite, elles n'ont pas de charge explosive mais un système qui permet de connaitre son parcours et de savoir si une véritable à sa place aurait atteint la cible visée.
C'est si loin tout çà, et pourtant il me semble que je viens tout juste de quitter la Marine.
Je ressens encore l'ambiance du poste équipage, les moments de détente aprés le quart, là nous nous retrouvions tous, Mécanos, Electriciens, Torpilleurs, DSM (spécialistes de la détection sous-marine) Radio etc... quelques soient nos spécialités propres, d'abord nous étions tous Sous-Mariniers, je l'ai dit au début nous étions fiers de l'être. Personnellement je le suis encore...
Le repas du soir s'achève, il est 19 H 45, c'est bientot la relève de quart, les camarades que nous allons "relever"attendent sûrement avec impatience leur tour de passer à table, aussi, vite une dernière gorgée de café, du poste central la diffusion générale du bord annonce:
- Relève de quart, 3eme tiers de quart, relève des chefs de compartiment .
Et c'est reparti pour quatre heures de temps, mais aprés il y aura pour le 3eme tiers une"longue nuit" jusqu'a 08 H00 du matin. ( un équipage est divisé en trois tiers )
A peine installé sur le siège de la barre de plongée arrière, le Maître de Central m'annonce :
- Petit on va faire du schnorchel, ça remue là-haut, je compte sur toi.
- Pas de "pé" Patron, c'est "nous les meilleurs".
l'électricien de quart au central s'installe devant la commande des chasses aux ballasts, c'est la consigne, il le sait et le fait sans ordre particulier ; nous formons un bloc tous ensemble, en mème temps il me lançe un clin d'oeil, ces instants me font encore chaud au coeur.
(chasses aux ballasts : au moyen d'air comprimé à 250 bars, permet de chasser l'eau des ballasts et de redonner au sous-marin une flotabilité positive pour son retour en surface, ou étant en plongée pour s'allèger rapidement si nécessaire, en chassant aux ballasts avants par exemple).
C'était une façon de nous préparer aux difficultées, car la navigation au schnorchel par gros temps, demande une attention de chaque instant ; sur les sous-marins classiques il est obligatoire de recharger les batteries qui servent a alimenter les gros moteurs électriques de propulsion, pour ce faire nous disposions d'un "tube d'air"(schnorchel), qui se hisse comme un périscope, il est doté a son sommet d'un clapet qui se ferme automiquement si l'eau le recouvre, donc il permet de s'alimenter en air de l'extérieur, air indispensable aux dièsels qui sont des groupes électrogènes servant à la recharge électrique des élements ( sortes de grosses piles électriques) situés dans les cales batteries. Je ne veux pas me montrer trop technique, mais il faut bien essayer d'expliquer certains matériels d'un sous-marin.
- Central 12 mètres!
- 12 mètres répète le "patron"( nom donné aux gradés dans la Marine, appellation officieuse, qui s'applique à partir du grade de Maître, et qui correspond dans les autres Armes au grade de Sergent-Chef )
- Allez casse bong sang !
Le patron est inquiet il craint que je ne manque la reprise de vue, car c'est toujours possible, trop haut ce serait ce qu'on appelait un"baignore", c'est-à-dire que le kiosque du sous-marin sortirait au-dessus de la surface ; comme indiscrétion c'est impardonnable, trop bas les officiers ne verraient rien dans les périscopes, danger certain, non ! Il faut 12 mètres , d'où le "sermon" du patron, mais plus facile à dire qu'a faire surtout par gros temps, alors c'est la "bagarre", amener le sous-marin là où il faut, c'est le rôle du barreur et du patron de central ; pendant ce temps, dans les autres compartiments ils ne "rigolent" pas non plus, les Mécanos et les Electriciens de quart dans le compartiment propulsion s'affairent aussi, la charge électrique des cales batteries repose d'abord sur eux.
- Hissez le tube d'air !
- Hissez le tube d'air, répète le patron, tout en portant la main sur la commande de hissage.
Toutes ces maneuvres se faisaient d'instinct, il fallait être entraînés, conditionnés, cent fois sur le métier...
- Central la vue !
Un petit coup de barre "malheureux" et le sous-marin est descendu trop bas ; toute erreur est de suite sanctionnée, le clapet du tube d'air s'est refermé, les diesels à ce moment-là pompent l'air du bord, qui bien sûr se met en dépression, vite remonter avant de provoquer "l'alerte " et surtout redonner la vue au servant du périscope.
- Charge réglée à 1200 (ampères) annonce la propulsion.
- Le patron de central le rèpète au C.0. ( où se trouve l'officier de quart )
- Bien reçu! répète celui-ci...
Quand un équipage est bien entraîné, chaque geste, chaque compte rendu est précis, c'est trés important pour la sécurité du bâtiment ; sur un sous-marin chaque homme doit être concerné par tout ce qui peut arriver.
Alerte ! 150 mètres.
Aussitôt le Patron de Central appuie trois fois sur le klaxon d'Alerte qui diffuse dans tout le bâtiment un son guttural et inconfondable avec un autre, en même temps des lampes d'alerte clignotent, dans l'instant ; tout s'arrête, se ferme, se rentre, les diesels et leurs échappements extérieurs, le tube d'air, les aériens, ( toutes les antennes qui se hissent du C.O.comme des périscopes ), puis le silence retombe, à nouveau le sous-marin est prêt à repartir vers les profondeurs...
- Immersion 150 mètres, annonce la diffusion générale, ronde d'étanchéité.
Alors chaque compartiment vérifie et rend compte d'une fuite ou de toute autre anomalie, si c'est le cas pas question d'aller plus bas avec le moindre problème.
Nous étions bien jeunes sur ces bâtiments, à quelques exceptions près les plus "vieux" parmi les Officiers Mariniers ne dépassaient guère la trentaine, le Commandant à peine plus, je dois dire aussi que "l'esprit" Sous-Marinier se forge en étant jeune ; les conditions de vie sont assez particulières sur ces bâtiments, il faut accepter de supporter les autres dans la promiscuité ; là encore c'est facile à dire, mais vivre sans se laver pendant un temps assez long n'arrange pas le caractère, partager la couchette non plus, c'est-à-dire deux couchettes pour trois, vu qu'un sur trois est toujours de quart. (on appelait ce systeme "couchette chaude") De plus la place manquait pour ranger nos affaires, mais il fallait faire avec... (le CDT était le seul à posséder sa couchette et sa cabine personnelle)
Deux ans environ aprés le sous-marin MINERVE, nous avons encore perdu l'EURYDICE, je cite le nom de ces bâtiments, parce que je crois le devoir à leur mémoire ; à l'époque ces événements furent la "proie" des journalistes, mais peu de gens doivent s'en souvenir, c'est ainsi, le monde oublie vite, personne ne peut l'éviter...
Toutefois je suis certain que les sous-mariniers eux l'on encore en mémoire. Je me souviens d'avoir appris ce second drame étant nous aussi en mer, je revois toujours le visage de mes compagnons, quelques uns ont pris la décision de quitter les sous-marins à cet instant, je ne leur en veux pas, c'était tout à fait compréhensible, mais dans l'ensemble peu sont partis.
Je ne souhaite pas m'étendre sur les accidents mortels qui nous endeuillèrent également, mais je serai malhonnête de les passer sous silence, sans pour autant faire plus de commentaire.
Je dois parler aussi des Officiers sous lesquels j'ai servi ; et vraiment quelques uns m'ont marqué, je le redis pas question de citer des noms, je ne m'en donne pas le droit, autant en bien qu'en "mal".
Mais une chose est sûre, avec au moins deux d'entre eux, je serai allé au bout du monde ; savoir commander ne s'invente pas, ces hommes là furent parmi les plus brillants Commandants de leur époque. Je n'écris rien de révélateur pour qu'ils puissent se reconnaître ici, si toutefois ils me lisent un jour, mais je peux dire qu'après eux j'ai oublié tous les autres...
Beaucoup de qualités sont demandés à un Officier de Marine, le fait d'être Sous-Marinier double la dose, si j'ose dire.
Je me souviens d'une réflèxion que l'on m'a adressé jadis : parlant de moi une personne que cela n'empècha pas de me trahir par la suite, eût la réplique suivante : "la Marine c'est sa Mère, et le CDT c'est son Père." Peut-être aviez vous raison Madame, mais en fait vous ne saviez pas à quel point, ni pourquoi.
La confiance doit être réciproque pour exister et porter ses fruits, alors poussés dans ces conditions par ces hommes de trempe qu'étaient ces Commandants dont je parle ; nous avions vraiment l'impression d'être" invulnérables", rien d'impossible à coeur vaillant, non, comme le disaient les anciens légionnaires, je ne regrette rien...
J'étais entré à l'âge de seize ans au GEM St Mandrier, ( groupe école des mecaniciens ) puis je m'étais porté volontaire, pour faire le cours de Missilier ASM (armes sous-marine) qui se passait alors sur le Jean BART ; cuirassé superbe datant de la seconde guerre mondiale, il ne m'a pas donné l'envie de devenir surfacier, mais je dois avouer que ce bâtiment était magnifique.
J'avais l'avenir devant moi, j'en étais conscient, je crois que j'ai su prendre ma chance, pourtant bien des gens me disaient : "que vas-tu risquer ta peau pour la "princesse", tu as envie de finir au fond de l'eau ?". Mais qui ne risque rien n'a rien, et puis les poissons n'ont pas voulu de moi ; tous les jours des êtres disparaissent de cette terre, les autres continuent leur route. Je dis cela pour les plus jeunes, la peur n'écarte pas le danger, aussi il ne sert à rien d'avoir froid aux yeux, mais en essayant toutefois de rester lucide...
La peur ! La peur viscérale, qui na jamais peur ? c'est d'elle que vient le courage, car nous les sous-mariniers, nous ne sommes pas moins ni plus courageux que les autres.
Le Président KENNEDY, si je peux me permettre de le citer ; avait une bonne définition du courage, son avis me semble juste, d'autant plus qu'il fût naufragé dans le Pacifique pendant la guerre contre les Japonais. Il a nagé toute une nuit malgré les requins, il écrira donc plus tard si je me rappelle bien : "le véritable courage, c'est d'avoir peur et de le savoir".
Après trois ans de navigation, je fus obligé de débarquer pour aller faire le cours de C.F.O.M (cours de formation d'Officier Marinier) , nous étions logés au 5eme dépot des équipages de la flotte à Toulon, je n'en garde pas un bon souvenir de ce "dépot". Mais les matières enseignées me plurent beaucoup, même si je n'ai pas appris grand chose sur les sous-marins (sauf sur les torpilles). Je dois reconnaître que nos instructeurs étaient à la "hauteur", enfin quelques mois plus tard, diplôme en poche, admissible au grade de Second-Maitre (Sergent), je revins plein d'envie vers les"bateaux noirs". (les sous-marins Français sont de cette couleur).
Pendant près de deux ans sur ma nouvelle unité j'ai connu un bon équipage, au-dessus de la moyenne si je peux me permettre de l'écrire, ma position de quartier-maitre de 1ere classe admissible (au grade de second-maitre) me donnait déjà des responsabilités intéressantes. En cette période nous faisions des lançements d'engins expérimentaux, nous étions en contact réguliers avec des ingénieurs et des techniciens de l'armement, aussi j'ai appris beaucoup de choses qui sortaient de l'ordinaire.
Puis vint le jour où je fus promu au grade de Second Maitre ; passage capital, mais il me fallait changer tous mes uniformes, fini le pompon rouge, obligatoire la casquette et la cravate, les responsabilités aussi s'élevaient d'un cran, et de ce fait même, le changement d'unité allait de pair. A cette époque j'étais à deux doigts de quitter la Marine prématurément, un coup au moral, causé je crois par certaines peines de coeur, mais fort heureusement je me suis repris à temps, bon ! Je ne vais pas m'étendre sur ma vie personnelle.
Le poste avant, le poste des torpilles, il fut mon "domaine" pendant des années ; car si nous étions tous sous-marinier, il va de soit que chacun y exercait aussi sa propre spécialité.
Les anciens torpilleurs, disaient parfois que le sous-marin était construit autour d'un tube lance torpille (T.L.T), il est évident que les sous-marins des marines militaires sont construits dans ce but.Toutefois, tous les éléments d'une chaîne sont absoluments nécessaires, aussi pas de polémique, le cuisinier est aussi utile que le Radio ou le Détecteur.
Les T.L.T. donc : là aussi je pourrais encore le faire, l'embarquement des torpilles, la mise au tube ou la fixation sur les postes de réserve. Pour l'entretien des T.L.T., c'était un gros travail car il faut bien voir que ceux-ci sont un vrai problème de sécurité plongée. En effet une fuite importante sur une porte extérieure d'un tube, et la conséquence pourrait être dramatique. Mais je peux dire que les opérations de maneuvres sur ces systèmes d'armes étaient parfaitement maîtrisées.
A mon époque nous "larguions" aussi par ce moyen des nageurs de combat, ils entraient dans un tube deux par deux, têtes bèches, avec leurs équipements.(seulement sur certains types de sous-marins)
Puis remplissage du tube en eau et équilibrage lent avec la préssion extérieure, les communications avec les nageurs se faisaient à l'aide de signaux sonores, aprés l'ouverture de la porte extérieure (porte avant) du tube, ils sortaient vers leur mission...
La maneuvre était délicate, voire dangereuse pour les nageurs ; je n'ai pas souvenir de les avoir vu "flancher", ces hommes là étaient des "durs", je crois qu'avec eux nous avions une estime réciproque, même si nous les plaisantions parfois...
Plus tard ce genre de maneuvre se fit par le sas de sauvetage.
"Au poste de combat", diffuse dans le bord les hauts-parleurs, suit le"pilou pilou" habituel que répand la même diffusion. (pilou-pilou, sorte de sonnerie spéciale qui rappelle au poste de combat).
Pour ceux qui viennent de quitter le quart c'est la mauvaise surprise, car chaque homme est obligé de regagner son poste assigné d'avance.Tout l'équipage est inscrit sur un rôle, donc chacun sait ce qu'il doit faire dés qu'un ordre "éclate".
- Disposez le tube n° 1.
- Disposez le tube n° 1, répète le Patron Torpilleur dans l'interphone qui communique avec le C.O.
Le DSM calcul (ou éléctricien d'arme) à ce moment s'occupe de la D.L.T. (direction lancement torpille, système qui donne électriquement à la torpille tous les élements nécessaires, tels que gyrodéviation, vitesse et route du but, immersion etc...)
Puis environ une ou deux minutes plus tard... tube 1 disposé. (suivant les types de T.L.T. les portes extérieures s'ouvrent ou pas au moment du "feu")
- Bien reçu, répond le C.O. --- Attention pour lancer !
- Attention pour lancer répète le Patron Torpilleur.
Le CDT l'oeil "rivé" dans la lentille du périscope d'attaque, prend un dernier azimut du but qu'il vise et demande :
- Route et vitesse confirmées ?
- Oui CDT répond l'Officier Torpilleur.
- Tube 1 feu !
l'Officier Torpilleur actionne l'interphone et répète "tube 1 feu !", tout en appuyant sur la commande "feu" depuis le C.O.
Au poste torpille on répète l'ordre dans l'interphone, tout en suivant du regard l'opération ; si cela se passe normalement, tout sera automatique, sinon dès que le lumineux rouge du "feu" s'allume, s'il ne se passe rien, le servant du tube fera "feu" manuellement.
- Torpille partie, porte refermée, rend compte le Patron depuis le poste torpille.
- Bien répond l'Officier Torpilleur depuis le C.O. décomprimer le tube 1
- Tube 1 décomprimé. ( c'est à dire purger du tube la pression extérieure )
- Mettre le tube 1 sur repos...
Et voilà une de plus, combien de lancements de torpilles à notre actif ? Sincérement je n'en sais rien, nous faisions le maximun d'effort pour que tout réussise, sans parler des lancements expérimentaux, mais je n'aborderai pas ce sujet.
Sur certains types de sous-marins, nous lançions aussi des mines ; mais fort heureusement en ce qui me concerne, ce ne furent que des mines inertes pour exercice.
Les journées en mer sur un sous-marin sont longues et souvent pénibles à supporter si le moral n'est pas au "beau fixe", heureusement après le quart lors des interminables patrouilles, les parties de cartes apportaient leur lot de détente. On avait coutume de dire que le tarot était notre jeu "national", mais souvent au fond des coeurs, le souvenir de la "petite amie" laissée au bord d'un quai nous était dur à supporter, pour d'autres plus âgés, c'était les enfants, l'épouse "abandonée" aux problèmes quotidiens...
Un sous-marin naviguant à l'immersion périscopique par gros temps, c'est quelque chose qu'il faut avoir vécu pour bien ressentir ; pour les hommes de quart au central, comme dans les autres compartiments, c'est une lutte incessante, pour ceux que le mal de mer atteint rapidement c'est aussi une souffrance continuelle. Il faut savoir que l'océan se calme seulement après avoir atteint environ trois fois la hauteur des vagues sous la surface. Avantage bien sûr que n'ont pas les surfaciers, car pour eux pas de répis, par contre sur un sous-marin en surface dans ces mêmes conditions, il faut avoir "les tripes bien en place", c'est la loi de l'océan, tous ceux qui ont navigué le savent.
Le compartiment propulsion : toute la partie arrière du bâtiment ou presque, le royaume des mécanos et des électriciens, eux aussi avaient leur part de difficultés, souvent la température y était écrasante, les problèmes nombreux. Ils étaient les" muscles" du navire, ils le savaient, ils méritent aussi d'être salués, car ils étaient les indispensables "hommes de l'ombre".
Une obligation était faite aux sous-mariniers quelque soit la spécialité, le passage dans une école spécifique ; L'ENSM (école de navigation sous-marine), pour les jeunes matelots un premier cours élémentaire donnait aussitôt droit à la petite insigne, que nous accrochions avec fierté sur le coté droit de la vareuse de sortie. Puis dès l'admissibilité au statut d'Officier-Marinier, c'était le C.S (cours supérieur), qui lui nous donnait l'insigne définitive, plus grosse que la première et bien sûr plus honorifique, mais toujours justifiée. (pour les Commandants elle avait une distinction supplémentaire)
Les barreurs étaient aussi des veilleurs ; en plongée aprés une 1/2 heure de barre, ils passaient au C.O. faire une 1/2 heure de sonar, ils "tournaient" ainsi de suite, ils étaient généralement trois par tier, un au sonar, un à la barre de direction, un autre aux barres de plongées.En surface ils montaient chacun à leur tour dans la fosse de veille, ( ou passerelle) située en haut du kiosque qui est le point le plus haut du sous-marin, pour assister l'Officier de quart et surtout assurer une veille visuelle continue. Par beau temps c'était superbe, dès que l'océan "se fâchait" beaucoup moins, la douche était souvent gratuite... Et glaçée...
Je ne vais pas parler des escales, car ce serait tomber dans une forme d'écriture qui n'est pas mon but ici.
Vint le jour où j'accèdais à mon tour au poste de Maître de Central, responsabilité certaine, mais j'avais l'avantage de mon expérience de barreur, aussi cette nouvelle fonction ne m'inquiètait pas outre mesure.
Disons clairement que presque toute la sécurité plongée du bâtiment repose sur le Maître de Central, c'est de lui que partent les réactions d'urgence, là encore l'entraînement est intensif, il est même primordial .
Avec les galons de Maître (Sergent-Chef), venait donc la double charge de Maître Torpilleur et de Maître de Central pour le quart en mer. Au poste de combat ou de maneuvre, l'Officier Ingénieur Mécanicien prend automatiquement la relève du central.
J'ai aimé ce changement ; il est toujours important de progresser, j'avoue que je préfèrais le quart au central plus qu'a n'importe quel autre poste. Je pense qu'aprés avoir passé des années comme barreur, rien d'autre ne pouvait me motiver plus.
Plusieurs fois j'ai du remplaçer un collègue sur un autre sous-marin, pendant que le "mien" était en grand carénage. (longue période d'indisponibilité dans un bassin à sec où presque tout le sous-marin est entièrement démonté, la coque vérifiée etc...) Ce fut l'occasion pour moi d'être "secoué" un peu plus ; les Officiers du bord voulurent me "tester" en plus des renseignements qu'ils possédaient sur ma personne. c'était normal et je devais me plier de bonne grâce, c'est là que j'ai connu un des deux Commandants dont j'ai parlé plus haut.
Je fus donc placé en "subsistance" sur cette unité, le temps que le collègue se rétablisse.
Je connaissais bien sûr la plupart des "gars" du bord, car entre la douzaine de sous-marins, qui à l'époque étaient basés à Toulon, nous nous retrouvions tous au mess de la base lorsque nous étions à quai.
Aprés la bienvenue d'usage et les quelques plaisanteries qui l'accompagne, ce fut le retour en mer comme si mon unité n'était plus dans son bassin.
Non sans une inquiètude légitime j'affrontai mon premier quart, je peux dire que tout se passa bien, je tâchai de discerner les capacités des barreurs et d'éventer les petits pièges que l'Officier en Second me tendit inévitablement.
Tard un soir que nous étions "tranquillement" en évolution lente par 80 mètres d'immersion ; l'O2 (l'Officier en second) vint me dire que nous allions nous "poser" sur le fond. Je ne lui cachais pas que pour moi c'était la première fois en étant de quart à ce poste.
- Ne vous inquiètez pas, me répondit-il, je vous assiste.
- Bien ! Capitaine (appellation d'un Lieutenant de Vaisseau)
Je ne vais pas décrire ce genre de maneuvre ; ce serait trop technique, mais pour un coup d'essai ce fut "un coup de maître", pourtant entre nous je n'appréciais pas ce genre de situation.
Le lendemain au poste des maîtres ; tous mes collègues me "raillèrent" sur ma prestation de la veille, tous sauf un, le Patron du Pont, (Officier Marinier Supérieur ayant pour spécialité propre la navigation, donc le rôle d'officier de quart, puis : responsable de la discipline, des vivres, un poste très important sur un sous-marin) qui lui : rétorqua simplement :
- Moi ! j'ai vu un "subsistant" se poser sur le fond !
Les rires se figèrent, non qu'ils étaient méchants, mais la pointe d'ironie n'était pas de mise au goût du Patron du Pont.
Bon pas de quoi "fouetter un chat", mais je sentis là que j'avais mérité son respect. Par la suite nous navigâmes plusieurs fois ensembles, il m'a soutenu lors d'épreuves personnelles. Je ne sais pas ce qu'il est devenu aujourd'hui, si un jour il trouve ces quelques lignes je suis sûr qu'il se reconnaitra, qu'il sache : que je ne peux oublier son Amitié.
Les ondes d'un sonar de surface frappent la coque en faisant un bruit de "chien hurlant"... Le chef de C.O. s'y attendait depuis un moment. En effet le sous-marin détecte à plusieurs dizaines de kilomètres la trace d'un bâtiment de surface. (dans l'eau le son voyage environ trois fois plus vite que dans l'air, le sous-marin détecte ses éventuels adversaires surtout en écoutant à l'aide de ses sonars passifs, c'est-à-dire sans émettre d'ondes). Aussitôt arrivé au C.O. le CDT décide de remonter à l'immersion périscopique pour savoir à qui nous avons affaire ; car n'étant pas au sein d'un exercice entre différentes unités, celui-ci s'interroge à juste titre sur la présence d'un navire de guerre en ces parages. Bien sûr les émissions de son sonar ne sont pas étrangères à nos connaissances du matériel de surface.
A peine revenu à 12 mètres, le Pacha (appellation amicale donnée aux Commandants dans la marine) ne voit aucune présence immédiate sur tout l'horizon, de même l'O2 au périscope de veille ne voit rien non plus.
- CDT il doit être loin, il ne nous a sûrement pas repéré.
- Peut-être, répond celui-ci, mais je veux être sûr de sa position, fais moi un relevé APA dessus.
(APA :antenne périscopique d'attaque ; c'est une antenne radar installée en haut du périscope de veille qui permet d'émettre pour connaître la distance exacte d'un bâtiment ou d'un amer).
De par ses émissions sonar son azimut nous est connu.
Installé devant l'écran du radar le chef de C.O. annonce :
- Capitaine paré pour émission APA.
- Bien ! répond l'O2, table traçante mettez moi dessus. (table traçante, où s'inscrit toute la situation surface, autour d'une "rose" symbolisant le sous-marin et qui se déplace sous du verre transparant au fur et à mesure de l'évolution de celui-ci).
- Vous y êtes Capitaine.
- Bien, radar une émission brève, annonce l'O2 tout en scrutant vers l'azimut en question.
- Echo dans le 280 distance 15 000 mètres, annonce le chef de C.O.
Tu parles ! Pour le voir à cette distance avec cette houle, fulmine le Pacha, allez on redescend, qu'il "s'amuse" tout seul si ça lui chante...
En effet un quart d'heure plus tard les relevés des émissions sonar se faisaient moins nettes, plus faibles, il ne nous a pas trouvé trancha l'O2, il n'a même pas relevé notre émission radar.
- Fait mauvais là-haut, les gars ne doivent pas se montrer très performants devant leurs écrans, constata le CDT.
Voila un exemple de l'avantage du sous-marin, dans ce cas il pouvait soit se dérober, soit donner la chasse ; notre rival le plus dangereux c'est l'avion, quoique par gros temps ou loin des côtes, il reste difficile à employer.
Tout là bas au loin, les lumières d'une côte brillent dans la nuit claire, l'Officier de quart sur la passerelle tire sur sa cigarette, (seul endroit où il est autorisé de fumer sur un sous-marin) le veilleur scrute l'horizon derrière ses jumelles, le dernier point vient d'être fait, lorsque l'interphone annonce :
- Passerelle prenez la "tenue de veille".
- le veilleur répéte dans l'interphone --- les hommes de quart en bas vont mettre le bâtiment en mesure de plonger.
Il existe trois positions pour un sous-marin opérationnel :
1- la tenue de repos (à quai)
2- la tenue de navigation (en surface)
3- la tenue de veille (pour plonger)
L'Officier de quart sur la passerelle est resté seul ; il a rendu compte que le bâtiment est en tenue de veille, il attend l'ordre du CDT, dès que celui-ci arrive, il annonce dans l'interphone et en même temps dans le porte-voix qui dessert le central :
- Alerte !
Puis il se "jette" dans le sas d'accés passerelle et en referme le panneau supérieur.
En bas dans le central tout se déroule comme à l'exercice : le barreur de direction affiche AV4 sur les TTOM, referme le passage de coque du porte-voix, tous les aériens se rentrent etc...
- Ouvrir les purges ordonne le maître de central à l'électricien, après avoir appuyé trois fois sur le klaxon d'alerte (sauf les purges des ballasts centraux)
- 50 mètres, ordonne l'Officier de quart en arrivant en bas dans le central (suivant la consigne du CDT, qu'il a reçu avant)
- Ouvrir les centraux dit à ce moment le Patron de Central tout en ayant un oeil sur le tableau de plongée... Le bâtiment s'enfonce, le barreur de plongée actionne les barres en conséquence puis les purges seront refermées, la pesée corrigée, et recommenceront les opérations inévitables en plongée... (les purges laissent échapper l'air des ballasts qui aussitôt se remplissent d'eau de mer, le sous-marin plonge...)
Toutes ces maneuvres sont restées dans ma mémoire comme une marque indélébile ; mais je vais arrêter là mes petites narrations dans l'espoir de les reprendre plus tard, si toutefois cela reste possible.
La vie sépare ceux qui s'aiment ; cette phrase n'est pas de moi bien sûr, mais elle est malheureusement un peu vraie, comme beaucoup de gens je me suis laissé emporté par le coté profane de l'existence, et j'ai négligé de possibles "retrouvailles".
Parfois j'ai envie de revoir Toulon ou Lorient, mais je crois qu'on ne retrouve jamais le passé. Souvent il vaut mieux le laisser dormir comme les bras "dorés" d'un ancienne maîtresse. Pour éviter la déception ? Pas forcément, mais je sais que plus jamais je ne serai embarqué sur un sous-marin, sauf au fond de mes souvenirs, alors surface "chassez partout"...
La mise à quai est terminée, les barres à zéro, les moteurs stoppés, le gyrocompas arrêté, le bâtiment en tenue de repos.
L'équipage se rend à l'appel sur le quai, le CDT debarqué le premier s'éloigne là-bas d'un pas léger.
Ce soir je referme le livre, je pourrais raconter encore, je ne le fais pas : ni par manque d'envie, ni par manque de souvenir, mais seulement pour rester le plus sobre possible. Aussi, si je dois continuer plus tard, j'attendrai pour cela la prochaine relève de quart...