Wallace Edgar

Dans “Les Amis du Crime” n° 12
Jacques Baudou nous régale d'une critique de l'Archer Vert fort instructive.

Comme ce fanzine est devenu très rare,
et pour notre plaisir à tous,
je la reproduit ici :

Citation :

LE JUGEMENT DES FLECHES
Sur "L'archer vert"
The green archer 1923

I
Dans sa remarquable thèse "Le détective novel et l'influence de la pensée scientifique", Régis Messac a tenté de démêler l'écheveau bien embrouillé des fils qui mènent, au tout début du vingtième siècle, à la fondation d'un nouveau genre littéraire : le roman policier.

Il s'arrête longuement sur le roman gothique, et tout particulièrement sur les tenants de la veine que l'on a qualifié de "surnaturel expliqué", analysant les mystères du chateau d'Udolphe qu'il qualifie de simple mystery story". S'il n'y découvre que de lointaines prémices du roman policier, il n'en souligne pas moins que le mélange de raison et de ter­reur qui constitue le fondement du roman noir "donnera naissance à d'autres formules, parmi lesquelles celles du détective novel". Il observe également que la tradition du roman noir s'est perpétuée, notamment sous la forme des fascicules populaires appelés "PENNY DREADFULS" (1).

'L'influence de cette tradition est aussi particulièrement sensible chez -les auteurs anglais de "thrillers" (terme pris ici dans son sens premier et non dans celui qui lui est aujourd'hui attribué (2)), qui venaient, à mon sens, prendre le relai en la modernisant. "L'ARCHER VERT" d'Edgar àallace en constitue une fort bonne illustration.

Citation :

II
Dans leur prologue au Cahier de l'Herne consacré au romantisme noir, Liliane Abensour et Françoise Charras, analysant les spécificités du go­thique, écrivent : "De ce réservoir surgirait l'attirail hétéroclite de la peur liéé aux terreurs primordiales de l'enfance. D'une oeuvre à l'autre les mêmes thèmes se recoupent, contribuant à offrir du gothique une vision statique et parcellaire. Le chateau hanté, le pacte avec le diable ou le mariage avec la mort, les bandits et l'usurpateur, le crime et son châti­ment, le grand tribunal de l'Inquisition avec ses scènes de tortures, au­tant d'éléments qui ne doivent jamais décevoir l'attente du lecteur".(3) La plupart de ces figures emblématiques du roman noir apparaissent dans "L'archer vert", soit de façon immédiate, soit de façon métaphorique. Mieux encore, elles constituent l'armature même de l'intrigue.

Le chateau hanté - Il est dans le roman de 'Wallace doublement hanté. D'a­bord par le fantôme d'un archer vert, pendu par le seigneur de Curcy en 1487 pour avoir volé du gibier, qui se manifesta jusqu'en 1799 et fut à l'origine d'une légende populaire. Ensuite par un autre mystérieux archer vert, mais de nature moins spectrale puisqu'il lui arrive de laisser der­rière lui un mouchoir taché de sang. Ce chateau de Garre dans le Berkshire est d'ailleurs pourvu, comme il se doit, d'un souterrain reliant la bâtisse au manoir de la dame (il porte le doux nom de chemin d'amour!), et d'une chambre secrète soigneusement camouflée.

Le pacte avec le diable - Abel Bellamy, le nouveau maître de Garre est un milliardaire américain du type self made man d'une laideur physique fasci­nante."Pendant trente ans, il avait fait le mal" (p., d'une façon obsti­née, écrasant tout et tous sur son passage, frappant avec une évidente prédilection ses victimes en leur point le plus faible: leurs enfants. Groupant autour de lui une belle collection de canailles en tous genres. Bellamy n'a nul besoin de pactiser avec le diable : il est l'incarnation du mal, il est le diable en personne.

Le mariage avec la mort - Tel est le destin de la prisonnière des profondeurs du chateau de Garre : Elaine Held. Epouser Abel Bellamy qui, possédé par un amour monstrueux, lui a déjà ravi sa fille et a ruiné son mari dans l'espoir de la faire fléchir. Ou mourir, à l'insu de tous, dans sa geôle souterraine.
Les bandits - Ils sont de la plus belle eau. Notamment : CREAGER, le tortionnaire, l'ancien gardien de prison chargé de dispenser le supplice du, fouet qui a offert à Bellamy un bien macabre souvenir : un chat à neuf queues aux lanières tachées de sang. COLDHARBOUR SMITH, le tenancier d'un club mal famé, le Golden East, chargé du rapt de Valérie Howet. Tous deux paieront leurs forfaits d'une flèche verte en plein coeur.

L'usurpateur - Abel Bellamy encore, qui a tenté de prendre auprès d'Elaine Held et par tous les moyens la place de son propre frère Michel. Abel Bellamy, ce marionnettiste maudit et forcené qui jongle avec la vie des autres­ et leur inflige les pires tortures physiques et morales.

Le crime et le châtiment - Les crimes ici plutôt: ceux évoqués brièvement qui jalonnent la carrière du milliardaire; ceux surtout qui se rapportent à la passion effrénée de Bellamy pour la belle et intransigeante Elaine
Un châtiment double : la mort dispensée par l'archer vert "pour avoir poursuivi l'innocent et opprimé le faible". Et le sauvetage des prisonniers Bellamy voués par lui à une mort horrible dans les tréfonds du chateau.
L'échec de son point d'orgue en quelque sorte.
Ne manque donc à l'appel que le tribunal de l'inquisition : ma démonstration n'en saurait beaucoup souffrir.

Citation :

III-
Reste une figure qui vient elle, non du roman gothique, mais bien plutôt de la littérature populaire : le justicier. Thil l'espiègle, Guillaume Tell, Robin des Bois.
Robin des Bois, précisément, archer lui aussi, le meilleur du royaume vêtu de vert, du vert des feuilles de Sherwood, dont Edgar Wallace n'a pu manquer de s'inspirer (4) pour composer ce personnage de vengeur qui est perçu comme tel par le lecteur dès ses premières apparitions, alors que rien ne permet de lui assigner vraiment un tel rôle.

Le recours à cette image nettement marquée, et presque symbolique, qui finit une fonction dans le récit, est l'une des grandes forces du roman d'Edgar Wallace. Le lecteur, prévenu par elle, n'a de cesse de savoir que crime horrible a bien pu commettre Bellamy. Un crime si parfaitement exa cuté que la police officielle, en la personne de l'inspecteur Featherstone est impuissante à mettre au jour et à punir. Un crime si odieux qu'il appelle un châtiment hors du commun. Edgar '.-Wallace, avec une habilité diabolique, ne dissipe le mystère que peu à peu, par fragments (le soulier d' enfant tâché de sang, les révélations différées de l'un ou l'autre des personnages). Quand enfin, le forfait s'étale dans presque toute son ampleur devant nos yeux, le récit a pris déjà un tour presque frénétique, Bellamy se livre a de bien mystérieux préparatifs. Et nous n'avons touj pas par d'autres interrogations toutes aussi pressantes.

Notons que la figure de l'archer vert justicier a connu une certaine pérrennité puisqu'on la retrouve dans les comic-books avec le personnage de GREEN ARROW, membre de la Justice League of America, créé par Mort Weisinger et George Papp en 1941 .

Citation :

IV
- Bien entendu, les deux tentatives d'analyse qui précèdent, n'épuisent Pas, tant s'en faut, les richesses de cet "archer vert" qui mérite double­ment lecture. D'abord parce qu'il me parait être une oeuvre tout à fait significative d'un certain état du roman policier concomittant de la vogue du roman d'énigme, du roman problème.

Ensuite parce qu'il s'agit d'un des romans les plus passionnants qu'ait écrit Edgar Wallace.

I1 y aurait beaucoup à dire encore sur les "emprunts" au roman populaire et au mélodrame (le retour du "mort", notamment), qui établissent une filiation : celle d'une branche populaire du roman policier. Il faudrait, en contrepartie, souligner les éléments de modernité tant dans la relative cursivité de l'écriture, le rythme soutenu de l'intrigue (peu de diversions que dans les caractères. Valérie Howet est à l'opposé des diaphanes héroïnes du black roman, c'est une impulsive et une intrépide ne manquant ni de courage ni de volonté, bref une héroïne typiquement wallacienne. Featherstone et John Wood ont ce don de proteiformité que l'on retrouve souvent dans les oeuvres de l'auteur de *L'homme aux cent masques". Enfin Spike Holland est le type même du journaliste moderne, le journaliste à "scoops".

Il faudrait dire aussi l'humour et la tendresse de Wallace pour certains de ses personnages, comme le couple Fay-Julius Savini.

Il conviendrait enfin de conclure sur la belle efficacité de ce roman d'action, mené à toute allure, avec une science prodigieuse du rebondis­sement, de la course-poursuite, et du tempo. Certes la vraisemblance et la construction y sont parfois sacrifiées. Mais qu'importe ! L'intrigue est si captivante qu'elle entraîne le lecteur sans lui laisser le temps de souffler jusqu'à l'ultime flèche verte.

Jacques BAUDOU


(1) Lire à ce sujet : Michael Anglo "Penny dreadfuls and other victorian horrors" Jupiter Londres 1977
ou Peter Haining "The penny dreadful" Gollanez Londres 1975.
(2) Les auteurs de "thrillers" : Fergus Hume, Edgar Hale, Edgar Wallace, J.L. Vance, Phillips Oppenheim, écrivaient des romans d'aventures, d'action et de police aux rebondissements multiples, aux péripéties haletantes où la détection ne jouait qu'un rôle infinitésimal.
(3) Le romantisme noir Cahier de l'Herne n° 34 1978
(4) Il convient de citer également dans les sources possibles le roman de Robert Louis Stevenson où il est également question d'un archer justicier : "La flèche noire".

J'avais lu une bd tirée de ce roman.

J'avais adoré.

Wallace aime les histoires de justiciers,entre ça et "les 4 justiciers".